Mercredi en sallesDans «Uncharted», le film, il y a le fantôme d’un jeu… déjà joué
Mise en scène insipide, acteurs en mode ectoplasme, humour qui tombe à plat et scénario attendu. Une nouvelle adaptation dévitalisée.
- par
- Jean-Charles Canet
Orphelin turbulent, Nathan Drake (Tom Holland) est devenu un barman habile de ses mains, autant pour concocter des cocktails avec la dextérité de l’acrobate que pour détrousser les héritières nanties venues narguer le petit personnel avec leur carte de crédit. Rêveur de nouveaux horizons, il rencontre un certain Sully (Mark Wahlberg) qui l’engage pour l’aider à retrouver le trésor de Magellan. Le tandem devient trio avec l’entrée en scène de l’ambivalente Chloe (Sophia Taylor Ali), l’aventurière qui trahit plus vite que son ombre. Les Moncada, une sombre dynastie familiale espagnole, avec Antonio Banderas dans le rôle du fils indigne, se charge de leur mettre des bâtons dans les roues. Leurs péripéties les conduisent à Barcelone (sa cathédrale, ses vieux murs, ses catacombes) puis aux Philippines (ses falaises, ses grottes, ses galions échoués).
Adaptation d’une célèbre franchise vidéoludique, «Uncharted» est une production comme trop souvent malade qui a vu valser ses scénaristes et réalisateurs. C’est un certain Ruben Fleischer – tristement connu pour avoir signé «Venom» – qui a hérité de la direction, en dernier ressort. Il combine, non sans savoir-faire mais de manière totalement impersonnelle, le nombre de scènes à perler pour remplir un film de deux heures. «Uncharted» («Non cartographié», si on veut) tente de marier action et humour (le genre qui tombe à plat) et truffe le métrage de clins d’œil appuyés, notamment aux «Indiana Jones» et aux «Pirates des Caraïbes». Sans le génie stylistique de Steven Spielberg ou l’indéniable talent de Gore Verbinski.
Une manette vient à manquer
À cette médiocrité générale, s’ajoute l’immense difficulté qui consiste à transposer un jeu vidéo, même narratif (15 à 30 heures d’implication pour en venir à bout), en long métrage de cinéma. Pour que l’opération s’en trouve un tant soit peu aboutie, il aurait fallu trahir le matériel original pour – paradoxe – mieux lui être fidèle, ce que le PlayStation Studios (crédité en tant que producteur) s’est bien gardé de faire. Le film n’est plus alors qu’un collage rapide et grossier de séquences prévisibles, une extraction de déjà-vu, de déjà joué alors que – et c’est bien là un des problèmes – les spectateurs n’ont ni la manette ni le gameplay pour les aider à faire passer la pilule.
Et pour ceux qui n’ont pas eu le loisir de découvrir les «Uncharted» 2, 3 et 4 sur console (qui restent parmi le meilleur du jeu narratif), le film a de fortes chances de n’être qu’un ballet de surhommes et de surfemmes qui miment la douleur avec application et se jouent de la gravité. À ce niveau de désincarnation, aux oubliettes la nécessaire suspension consentie de l’incrédulité, celle qu’on avait volontiers accordée aux «Aventuriers de l’arche perdue» en le découvrant pour la première fois en salle, émerveillés. Ni Tom Holland ni les autres ne sont vraiment à blâmer de ce naufrage: ces acteurs et actrices paient physiquement de leur personne mais n’ont pas de quoi incarner quoi que ce soit d’autres que des coquilles vides, sur fond d’effets numériques quotidiens et d’une partition musicale insipide.
Alors, pire adaptation d’un jeu vidéo au cinéma que cet «Uncharted»? Même pas, tant ce statut est disputé. Juste un divertissement sans saveur et interchangeable, digne de certaines des grosses productions Netflix qu’on mate d’un œil distrait, un samedi soir d’oisiveté.