Procès à Renens (VD): Le fils du père incestueux reste un violeur aux yeux de la justice

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Procès à Renens (VD)Le fils du père incestueux reste un violeur aux yeux de la justice

Fracassé par ses deux parents, le Vaudois de 20 ans a fait appel de sa condamnation. Le Tribunal cantonal (TC) l’en a dissuadé pour éviter une peine plus lourde.

Evelyne Emeri
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Evelyne Emeri
Mercredi 24 août 2022 – La Cour d’appel du Tribunal cantonal (TC) siégeait exceptionnellement à la salle d’audience cantonale à Renens (VD).

Mercredi 24 août 2022 – La Cour d’appel du Tribunal cantonal (TC) siégeait exceptionnellement à la salle d’audience cantonale à Renens (VD). 

TX Group/Patrick Martin

Ce gosse de 20 ans est le fils de. Il est l’un des huit enfants – trois filles et cinq garçons nés entre mars 1996 et janvier 2014 – du couple abuseur et maltraitant de la Vallée des Ormonts dont le procès a fait la une de tous les médias suisses en 2018. De 2004 à 2015, à l’image de toute la fratrie, il a vécu, à huis clos et depuis tout petit, les assauts, les contraintes, une sexualité désinhibée et débridée, la pornographie, les coups, les carences affectives et éducatives, l’absence d’hygiène, l’emprise, la psychoterreur, l’humiliation, le dénigrement, la sous-alimentation, les logements dépotoirs. L’enfer et l’interdit, sans en avoir conscience. Bien que son père a été condamné à 18 ans de prison pour les exactions perpétrées et sa mère à 3 ans dont six mois ferme pour complicité, la justice restaurative n’est pas encore passée par là. 

Condamné à 18 ans de prison ferme en première et en deuxième instance en 2018, le père incestueux et violent n’a pas recouru au Tribunal fédéral et purge actuellement sa peine.

Condamné à 18 ans de prison ferme en première et en deuxième instance en 2018, le père incestueux et violent n’a pas recouru au Tribunal fédéral et purge actuellement sa peine.

lematin.ch/Evelyne Emeri

Deux cabossés

Le jeune garçon – dont les retards mentaux, de développement et de construction sont saisissants - est accusé d’avoir abusé de l’une de ses camarades de foyer une nuit d’août 2020. Il venait d’avoir 18 ans. La jeune fille de tout juste 16 ans, hémiplégique après un AVC, également cabossée par la vie, avait perdu sa virginité ce soir-là. Jusque-là, ils s’aimaient bien, ils se prenaient dans les bras. Jusqu’au dérapage du prévenu, induit par un schéma familial qui a ressurgi, incontrôlable. Le dossier est si douloureux, de la détresse partout, une plaignante et un prétendu violeur, tous deux diminués, fragilisés à outrance. Et un océan d’incompréhensions. Autrement dit, elle n’a pas su verbaliser fermement son opposition et son absence de consentement; et lui a pensé qu’elle était d’accord.

9 mois avec sursis

En décembre 2021, le Tribunal correctionnel d’Yverdon a condamné le Vaudois pour viol à 9 mois avec sursis pendant quatre ans. Un traitement ambulatoire a aussi été ordonné de même que le maintien des mesures de substitution (ndlr. depuis sa sortie de détention provisoire), notamment le suivi psychosexuel et psychiatrique. Le jugement s’écartait diamétralement du réquisitoire de la procureure Valérie de Watteville Subilia qui avait abandonné toutes les charges (ndlr. viol, contrainte sexuelle, subsidiairement actes d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance). Sans surprise, le Tribunal cantonal (TC) a été saisi. La défense visait l’acquittement. La partie plaignante, elle, pouvait espérer l’aggravation de la sanction si la contrainte sexuelle était cette fois-ci retenue.  

L’appel qui brûle

Ce mercredi 24 août, le jeune homme est arrivé au Tribunal cantonal, qui siégeait exceptionnellement à Renens (VD), entouré d’un curateur et de son avocate Me Tiphanie Chappuis. Comme devant les premiers juges de la Broye et du Nord vaudois fin 2021, il s’excuse presque d’être là. Il sait pourtant pourquoi il est là. Il n’est pas d’accord d’être un violeur. Mais comment le dire? Avec un Q.I. de 55, des troubles cognitifs, une élocution hasardeuse et difficile, une voix qui demande pardon à chaque mot prononcé, une compréhension minimale. La Cour d’appel se retrouve malgré elle immergée dans le procès de l’indicible inceste. Comment en sortir, comment en finir avec la pire affaire de maltraitance que la Suisse ait jamais connue? Comment aider celui qui passera sa vie en institution, sous curatelle? Lui qui rêve de travailler dans une cuisine.  

«Vous risquez d’être condamné plus lourdement, vous comprenez?»

La présidente du Tribunal cantonal vaudois

Une victime d’adultes, eux-mêmes victimes de leurs propres géniteurs. Un prévenu pour le législateur. Un gamin nourri à la pulsion, qui a voulu faire comme papa, qui a grandi dans les orgies incessantes, illimitées. Même question qu’à Yverdon: que fait-il dans ce nouveau prétoire? Est-il apte à comparaître? Le président de première instance avait estimé que oui. Les experts psychiatres ont considéré sa responsabilité pénale légèrement à moyennement diminuée. Pas de choix, il va falloir répondre aux trois nouveaux juges qui lui font face. Mais avant, la présidente Caroline Kühnlein tentera tout pour qu’il retire son appel: «Vous risquez d’être condamné plus lourdement, vous comprenez?». L’assistance tend l’oreille. Réponse: «Je n’ai rien fait de mal. Je ne savais pas. Un tout petit peu…». 

«Mon corps ne répondait plus»

La défense se retrouve sur une pente dangereuse. Lors de l’interrogatoire, les trois magistrats du TC prennent un soin tout particulier pour écouter l’accusé qui peine: «Elle avait mal, oui. Faut arrêter, j’ai pensé. J’ai demandé où elle avait mal? Je n’ai pas eu de réponse. Je n’ai pas de souvenirs précis. Si une fille dit non, c’est ça. Ma tête disait non. Mon corps ne répondait plus, je n’ai pas réussi à l’arrêter. Elle ne s’est pas défendue, elle n’a pas dit «Non». Elle restait dans le lit sans bouger». Ni l’avocate de la plaignante (ndlr. dispensée de comparution), Me Emmeline Bonnard, ni la procureure Valérie de Watteville Subilia ne prendront la parole. Que demander encore? Deux protagonistes dévastés, une collision de pathologies et mille questions en suspens. Dont celle, centrale, du renvoi en procès du fils du prédateur. 

«Continuez à progresser»

La Cour pénale de retenter le retrait de l’appel en insistant sur l’éventualité que la contrainte sexuelle soit retenue en plus du viol en deuxième instance. Et, partant, que la peine de 9 mois avec sursis, y compris les traitements ambulatoires, soit largement moins clémente, voire ferme. «C’est clair pour moi», réplique le Vaudois, avant un «Je sais pas». Son conseil accepte finalement de renoncer à la bataille. L’enjeu et la prise de risque sont trop importants. «On vous souhaite le meilleur. Continuez à progresser», conclut avec délicatesse la présidente du Tribunal cantonal. Aux yeux de la justice, le fils du père incestueux reste un violeur. Dans les pas perdus, au sortir de l’audience, toutes les parties respirent et savent que la meilleure issue – ou la moins mauvaise – était celle-ci.

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