SuisseDes cours de jeux vidéo pour les écoles romandes
L’an passé, Swisscom a introduit un support pédagogique, «Gaming et e-sport», destiné aux élèves suisses allemands. Il arrive aujourd’hui en Romandie.
- par
- Christophe Pinol
Jouer à des jeux vidéo en classe, sans se cacher et se faire rappeler à l’ordre, beaucoup de jeunes en ont rêvé. Et c’est justement ce que propose aujourd’hui Swisscom dans nos écoles nationales via un programme de cours en option intitulé «Gaming et e-sport». Après l’avoir introduit dans les classes suisses alémaniques l’an passé, le voilà aujourd’hui adapté en Romandie. Le géant bleu a ainsi mis en place un support pédagogique destiné aux élèves de la 7e à la 9e année et c’est aux professeurs et aux écoles de manifester leur intérêt pour l’inclure à leur programme. «120 enseignants ont déjà répondu à l’appel outre-Sarine, nous explique Michael in Albon, chargé de la protection de la jeunesse face aux médias chez Swisscom. Avec chacun entre 15 et 20 étudiants affiliés à leur cours. Les jeux vidéo faisant de plus en plus partie de la réalité quotidienne de ces enfants, on a souhaité les accompagner à travers une formation appropriée».
Selon la dernière étude JAMES, ils sont effectivement aujourd’hui 71% de jeunes Suisses à s’adonner aux jeux vidéo. Et pour le mastodonte des télécoms, le programme est un développement logique de ses déjà nombreux investissements dans le domaine, notamment avec la création de sa propre ligue de e-sport, la «Swisscom Hero League», qui organise chaque année des tournois rassemblant les meilleurs joueurs du pays.
Programme riche
Ici, le programme scolaire tient en deux temps: en une vingtaine de leçons pour sa partie condensée ou le double pour la complète. Le programme est également accessible en ligne ici. On y parle de l’histoire du jeu vidéo, des différents types de jeux existants (stratégie, plateforme, simulation…), des liens sociaux qui se tissent entre joueurs mais également des perspectives d’emploi que l’univers peut proposer. La section e-sport s’attarde, elle, plus particulièrement sur la façon d’aborder une carrière de sportif professionnel, du maintien d’une bonne hygiène de vie à travers des programmes nutritionnels et de fitness, de l’importance des pauses… Le tout sans omettre d’aborder les aspects les plus problématiques du gaming, comme les questions de dépendance, les discours haineux, le cybergrooming (quand des adultes entrent en contact avec des enfants dans une perspective d’abus sexuel) ou encore la perte de notion du temps à laquelle ces jeunes sont souvent confrontés dès qu’ils entament une partie… «L’idée est avant tout de garder une approche réaliste et juste du milieu, continue Michael in Albon. Sans le stigmatiser mais sans oublier que tout n’y est pas toujours rose».
Des parents pas toujours très chauds
Depuis la rentrée scolaire 2021, toute une série d’écoles alémaniques ont donc adopté ce programme. Gareth Cox, coordinateur du développement de l’innovation de l’école privée OBS à Pfäffikon (ZH), nous explique comment leur établissement s’est lancé dans l’aventure. «Il y a environ 4 ans, j’étais encore professeur, et comme j’étais aussi un joueur occasionnel, certains élèves m’avaient proposé de me livrer avec eux à quelques parties après les cours. Ils m’avaient notamment initié à «Fortnite» et j’avais été fasciné par la façon dont ces jeunes communiquaient et interagissaient entre eux. J’ai alors réfléchi à une manière de canaliser leurs talents et d’exploiter leurs compétences. A l’école, nous avons commencé par créer un club de e-sport puis entrepris des recherches pour trouver un moyen de leur enseigner certaines valeurs, et c’est là qu’on est tombé sur le programme développé par Swisscom».
Mais pour la plupart des parents, de plus en plus préoccupés par le temps de présence de leurs enfants face aux écrans, et leur souci de trouver un équilibre entre jeux vidéo et véritable dépense physique, il est parfois difficile d’admettre que leur progéniture s’adonne encore au gaming pendant les cours, en plus de ce qu’ils pratiquent déjà à la maison. «On s’est d’abord heurtés à une certaine réticence de leur part, reconnaît Gareth Cox. Pour beaucoup, les jeux vidéo n’étaient au mieux qu’une perte de temps, et souvent carrément dangereux. Nous avons donc organisé des séances pour leur présenter notre programme. Et on a en grande partie réussi à les convaincre puisqu’à peu près 60% d’entre eux nous apportent désormais leur soutien. Le reste étant équitablement partagé entre les indécis et ceux qui ne sont toujours pas convaincus».
La Suisse allemande, preums!
Alors pourquoi s’être d’abord attaqué à la Suisse allemande, avec ce programme? «Théoriquement, on aurait pu commencer par la Suisse romande, car c’est ici que la culture du jeu vidéo est la plus forte, poursuit Michael in Albon. Les grands joueurs sont souvent Romands, les événements marquants, à portée internationale, se déroulent aussi du côté de Montreux, de Lausanne ou de Genève… Le problème c’est que les cantons romands sont aussi plus réticents à voir des institutions privées venir jouer un rôle dans le cursus scolaire. La Suisse alémanique est plus ouverte de ce côté-là et c’est finalement ce qui a été déterminant pour le lancement de notre programme».
Reste qu’aujourd’hui, deux mois après l’annonce de Swisscom d’implanter ce système dans notre région linguistique, aucune école n’a encore entrepris de démarches pour proposer ce type de cours. Faut-il y voir un manque d’intérêt? «Non, rétorque Michael in Albon. On a d’ailleurs observé la même situation en Suisse alémanique l’an passé. On avait lancé le programme au printemps et ce n’est qu’à la rentrée scolaire que les cours ont démarré». «Mettre en place ce programme prend du temps et de l’organisation, souligne Alicia Richon, porte-parole de Swisscom en Suisse romande. L’idée était de faire cette annonce assez tôt pour laisser aux professeurs le temps de s’organiser avec leur école et les parents d’élèves afin de proposer ce cursus à la rentrée scolaire».
L’e-sport au centre de l’attention des élèves
Pour Gareth Cox, ce support pédagogique «Gaming et e-sport» développé par Swisscom n’est de toute façon qu’une base. «Leur programme est vraiment bien fait mais on a souhaité pousser les choses encore un peu plus loin. En utilisant notamment les jeux comme un moyen d’orienter la discussion avec les jeunes pour parler de problèmes plus importants, plus fondamentaux. Si on a besoin de leur faire travailler leur écriture, on va par exemple leur demander de décrire un personnage de jeu, ou lire des critiques de magazines spécialisés pour favoriser la lecture. Ou encore leur faire analyser les ressources dont ils ont besoin pour achever une mission afin d’améliorer leurs compétences en matière de résolution de problèmes. Et ce en tournant le plus possible autour du e-sport parce qu’on a remarqué que leur niveau d’attention en regard de cette matière était bien plus soutenu que pour n’importe quelle autre».
En quelques années, le sport électronique a connu une ascension fulgurante. Selon la IESF (Fédération Internationale de l’e-sport), le mouvement accueillerait aujourd’hui plus de 200 millions d’adeptes à travers le monde en générant des recettes annuelles dépassant le milliard de francs. Et sa reconnaissance progressive en tant que véritable discipline sportive ne devrait que le populariser encore un peu plus. C’est en ce sens que des structures d’accompagnement de la jeunesse comme ce programme «Gaming et e-sport» prennent toute leur importance.