Athlétisme«Si on vous tend la perche, vous devenez marteau?»
À quelques heures de la 47e édition d’Athletissima, Jacky Delapierre, futur ex-patron de l’épreuve, se confie dans un entretien un peu déjanté.
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Jacky Delapierre se verrait bien monter sur un ring pour affronter certains managers…
Bastien GallayQuand il était môme, qu’il fermait les yeux, il lui arrivait de voler, comme un extraterrestre, dans les airs. Il était à Mexico et s’appelait Bob Beamon. Mais Jacky Delapierre a fini par atterrir, devenir un spécialiste du 800 mètres avant d’endosser le veston de patron d’Atletissima, dont il est un des membres fondateurs. Le Vaudois, qui a eu l’honneur de poser avec les plus grandes vedettes de la planète, va bientôt passer la main. Alors que la 47e édition a lieu ce vendredi soir à la Pontaise, «LeMatin.ch» s’est mis dans les starting-blocks en sa compagnie. L’occasion de piquer un sprint verbal, via un tour de piste de questions (un peu) «déjantées», avec un homme attachant qui vient de célébrer ses 70 ans.
«Disons que c’est un demi-arrêt…»
Jacky Delapierre, est-il exact que vous avez entamé cette année votre dernier tour de piste?
Disons que c’est un demi-arrêt…
C’est-à-dire?
Que je m’occuperai toujours des athlètes et du partenariat. L’ultime tour de piste, ce sera pour la 50e édition.
Vous restez donc le patron d’Athletissima?
Pas exactement. Je ne suis plus le patron de toute la partie opérationnelle. Ce n’est pas moi, par exemple, qui m’en suis occupé cette année mais j’ai donné des lignes de conduite, des directions. C’est un peu comme le passage de témoin au Montreux Jazz Festival, lorsque Mathieu Jaton avait relayé Claude Nobs, même si j’espère vivre plus longtemps que lui!
«Ce ne sera pas une personne qui va remplacer une personne. Un patron qui dirige tout, c’est aujourd’hui irréaliste»
Pour revenir à Athletissima, du coup, qui va vous succéder, votre fils Olivier?
On se rend compte que cette manifestation, c’est comme organiser 17 épreuves différentes. Il va donc falloir qu’on gère cela d’une autre manière. Ce ne sera pas une personne qui va remplacer une personne. Un patron qui dirige tout, c’est aujourd’hui irréaliste. On va constituer un organigramme différent. D’où l’arrivée de Laurent Meuwly et de Lea Sprunger, qui ont pris déjà, à notre grande satisfaction, une place prépondérante dans l’organisation très rapidement. Mon fils, Olivier, va continuer à leurs côtés avec des responsabilités peut-être différentes des miennes. Cela reste une certaine fierté qu’il soit dans la direction d’Athletissima.
Qu’avez-vous prévu pour ce dernier sprint?
Je ne suis pas une personne qui souhaite fêter ce genre de choses. Il faut savoir être et avoir été tout en restant le gardien du temple. On ne trouve pas toujours très agréable lorsque quelqu’un, qui a été un certain nombre d’années dans une fonction, tire la prise sans s’assurer que derrière, la continuité existe avec le même état d’esprit. Si l’envie restera toujours, je n’aurai plus de responsabilités ni les ennuis du quotidien.
Comment fait-on pour assurer ses arrières quand on va toujours de l’avant?
Comme dans toute organisation événementielle, il est important de garantir les partenaires et là, je viens de terminer un tour de table avec 20 à 25 partenaires dont les contrats étaient échus le 1er février 2023. Ils vont tous rester fidèles encore quatre à cinq ans, avec, en plus, trois autres qui se sont engagés avec nous. Sans oublier les droits TV jusqu’en 2030. Comme vous le voyez, je passe la main en douceur à d’autres personnes avec une situation saine et une vision financière garantie.
Dans la vie, vous êtes plutôt un sprinter ou un marathonien?
Plutôt un marathonien.
Si on vous tend la perche, vous devenez facilement marteau?
Je n’ai jamais pratiqué le saut à la perche, mais mes premiers copains dans l’athlétisme, lors des réunions internationales, étaient toujours des perchistes. À l’époque, dans les années 70-80, ce sont les Français qui dirigeaient la perche européenne, et comme je faisais partie d’une équipe de Suisse formée majoritairement de Suisses alémaniques, lors des matches entre les deux pays, j’étais toujours avec les Français. Encore aujourd’hui, j’ai une affection particulière pour les perchistes tricolores, et eux me le rendent bien.
Si c’était à refaire, vous reprendriez le même virage?
Oui et non. On est parti de rien, sans aucune connaissance, alors si on devait recommencer, on referait à 80% la même chose et on ajouterait dans les 20% manquant notre expérience d’aujourd’hui.
Dans quelle discipline auriez-vous souhaité battre un record du monde?
Dans ma discipline de cœur, le 800 m. Je valais 1’49”22. Je me souviens aussi avoir couru le 400 m en 48’’03 et le 600 en 1’16”03.
Et le 100 m?
Je ne me rappelle plus de mon temps, mais je n’avais pas une morphologie de sprinter.
Vous feriez le poids pour le disque ou le javelot?
Ni l’un ni l’autre.
Vous choisissez les haies ou le triple saut?
Physiquement parlant, je serais meilleur sur le triple saut, en plus c’est moins dangereux pour la santé.
«Je suis toujours resté les pieds sur terre. J’ai constamment travaillé par l’amitié avec les athlètes et les coaches»
À force de voir tourner les athlètes dans les stades, on n’a pas un peu la tête qui tourne?
Non car je suis toujours resté les pieds sur terre. J’ai constamment travaillé par l’amitié avec les athlètes et les coaches. Comme j’avais un budget bien limité, on devait compenser ce manque de financement par des relations qui nous obligeaient à voyager certainement plus que d’autres organisateurs. Mais ce sont des relations qui ont perduré.
Si vous deviez monter sur un ring, quel serait votre adversaire?
Ceux avec lesquels j’ai de la peine à m’entendre. Alors je pense que je donnerais volontiers des claques à deux ou trois managers que je préférerais affronter sur un ring que dans des négociations!
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Le record du monde du 110 m haies réalisé par Liu Xiang le 11 juillet 2006 est un des bons souvenirs de Jacky Delapierre.
Yvain GenevaySi vous pouviez utiliser une machine à remonter le temps, vous aimeriez revivre quel meeting?
Sans hésiter celui de 2012. Juste après les Jeux de Londres, tous les athlètes étaient là pour une revanche et nous avions alors vécu une soirée exceptionnelle à la Pontaise avec un temps magnifique et des résultats incroyables. On avait dans la foulée été élu meilleur meeting du monde. Il y a eu aussi des meetings avec des records du monde inattendus, mais dans l’ensemble des 46 éditions, celui de 2012, c’est l’image que je garde.
«En 2012, juste après les Jeux de Londres, tous les athlètes étaient là pour une revanche et nous avions vécu une soirée exceptionnelle»
C’était il y a dix ans, 2022 s’annonce aussi une cuvée exceptionnelle?
On en reparle vendredi soir!
Quelle impression, sur la longueur, cela vous a fait de prendre de la hauteur?
On s’assagit, on est moins virulent, beaucoup moins stressé et on devient fataliste sur certaines situations. Mais l’extraordinaire parcours que j’ai pu réaliser avec la passion que j’avais et que j’ai toujours restera toujours quelque chose d’hors norme.
On dit que l’homme descend du «songe». Vous, Jacky, vous rêvez de quoi? D’un tour du monde à la voile comme en 2002?
J’ai eu la chance de passer, il y a une semaine, quelques jours avec Jacqueline Tabarly, la femme de l’ancien navigateur Eric, et de leur fille Marie. Il est vrai qu’un tour du monde à la voile ça fait rêver, mais à 70 ans c’est quand même un peu tard pour moi. Non, aujourd’hui, j’aspire à pouvoir prendre du temps pour moi avec ma famille et mes petits-enfants qui grandissent trop vite à mon goût.
Durant une journée, par curiosité, vous aimeriez vous retrouver dans la peau de qui?
De Jacky Delapierre.
Quel est le don que vous aimeriez posséder?
Le don de pouvoir anticiper certaines décisions.
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Un regret Jacky? «De ne pas avoir participé en tant qu’acteur aux Jeux olympiques.»
Bastien GallayQuel est votre plus grand regret?
De ne pas avoir participé en tant qu’acteur aux Jeux olympiques.
Quel est l’athlète qui vous a fait pleurer?
Je pense que c’était Edwin Moses, un athlète fabuleux qui avait réalisé des choses extraordinaires chez nous.
Que faites-vous pour sauver la planète?
C’est quelque chose qui, forcément, me préoccupe. J’essaie de faire un maximum de choses, comme trier les déchets. Mais on doit aller au-delà. Je crois à la pollution par l’aviation, par ces choses-là, malheureusement on n’a parfois pas le choix que de voyager dans les airs. Mais ce qui m’inquiète, c’est surtout le manque de responsabilités personnelles des gens. En ce qui me concerne, j’essaie de n’ouvrir le robinet que lorsque j’en ai besoin. C’est un geste que peu de gens font alors qu’il suffirait que des millions de personnes se posent cette question pour changer des choses. Le premier problème sur notre planète ce n’est pas le pétrole ou l’électricité, mais l’eau, c’est la ressource la plus nécessaire pour vivre.
Est-ce que vous pourriez vivre sur une île déserte, sans téléphone portable, sans radio, sans télé, sans sport, sans rien ou presque?
Oui, mais pas trop longtemps!
Dernière question: que pouvons-nous vous souhaiter, Jacky Delapierre?
Que je puisse avoir une retraite effective active, et vivre encore assez longtemps pour assister encore à beaucoup d’événements à Athletissima. Mais dans la tribune.
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