Qatar 2022Analyse: les clés du renouveau d’Antoine Griezmann
Depuis le début de la Coupe du monde, le No 7 de l’équipe de France brille dans un rôle inédit de milieu relayeur, qui sied parfaitement à ses qualités.
- par
- Brice Cheneval
Il est toujours hasardeux de tirer des enseignements durables d’une grande compétition internationale. Parce que la réussite d’une équipe repose plus sur des préceptes tactiques temporaires que sur un projet de jeu patiemment bâti. Toutefois, la Coupe du monde 2022 marque-t-elle un tournant dans la carrière d’Antoine Griezmann? La question mérite d’être posée, tant le No 7 français a éclaboussé le tournoi à un poste totalement nouveau pour lui, celui de milieu relayeur.
L’évolution de son positionnement au fil de sa carrière indique l’intelligence du joueur: ailier dans ses jeunes années puis attaquant libre lors de son arrivée à l’Atlético de Madrid, il s’est progressivement mué en meneur. Idem en sélection où, après avoir été l’arme offensive principale, il s’est éloigné de la surface de réparation pour s’impliquer dans la distribution. Ses dernières années compliquées en club, entre l’échec au Barça et un retour sur la pointe des pieds à l’Atlético, avaient fini par lui faire perdre ses repères. Le déclin semblait se dessiner.
Didier Deschamps n’a pas dressé le même constat. Le sélectionneur français a conscience que «Grizou» n’est plus aussi finisseur qu’avant. Et de toute façon, ce rôle est désormais endossé par Kylian Mbappé. Mais il mesure sa qualité technique, sa flexibilité tactique ainsi que son goût pour les efforts défensifs. Alors il a décidé de le repositionner dans l’entrejeu. Choix judicieux: Griezmann a retrouvé une influence prépondérante.
Un métronome au rayonnement élargi
C’était devenu sa marque de fabrique: de l’Euro 2016 à celui de 2021 en passant par la Coupe du monde 2018, Didier Deschamps a toujours tâtonné pour trouver la formule qui lui convenait. Au Qatar, l'identité de ces Bleus s’est dégagée dès le premier match, face à l’Australie. Tant les onze titulaires que le système et l’animation.
Sur le papier, l’équipe de France est alignée en 4-3-3 et Griezmann évolue en tant que milieu relayeur, comme Adrien Rabiot, devant la sentinelle qu’est Aurélien Tchouaméni. Par défaut, il se positionne dans le demi-espace droit, entre les milieux et les défenseurs adverses.
Mais il jouit d’une grande liberté de déplacement en phase de possession. Côté droit, côté gauche, tantôt proche de Rabiot et Tchouaméni, tantôt avancé aux côtés de Giroud et Mbappé, axial ou carrément excentré... «Grizou» balaie large au gré des besoins, toujours. Soit pour apporter une solution de passe, orienter le jeu ou ouvrir des espaces pour ses partenaires. Un véritable métronome. Afin d’assurer l’équilibre du bloc, valeur cardinale de Didier Deschamps, ses dézonages sont généralement compensés par Rabiot.
Ainsi décrivait-il ses prérogatives en conférence de presse: «Je suis assez libre. Je dois assurer la relation entre la défense et l’attaque. Quand on défend, je dois aider mes coéquipiers et quand on a le ballon, il s’agit de placer mes attaquants dans les meilleures conditions. L’équipe a plus besoin de moi dans le cœur du jeu. Je suis focalisé sur cette optique-là plus que sur la finition.»
C’était déjà le cas avant ce Mondial. Mais son rayonnement s’est élargi. Ainsi, il se révèle précieux dans le premier tiers pour permettre aux Bleus de se sortir du pressing. Il possède aussi cette faculté de renversement. Associée aux flèches Theo Hernandez, Kylian Mbappé et Ousmane Dembélé, sa lecture des espaces libres fait merveille. D’après les données de la FIFA, il est d’ailleurs le Français à avoir tenté (82) et réussi (63) le plus de ruptures de lignes adverses depuis le début du tournoi.
Et puis il amène sa finesse dans la dernière passe. À ce titre, son centre distillé pour Giroud sur le deuxième but contre l’Angleterre (2-1), en quarts de finale, est un modèle du genre. Car le ballon est logé entre le gardien et les défenseurs anglais, une zone particulièrement délicate à défendre. L’attaquant, lui, arrive lancé.
Le cœur et les poumons de la défense
Le plus épatant, c’est que Griezmann parvient à offrir un tel apport malgré sa remarquable débauche d’énergie dans le secteur défensif. On connaissait son implication dans les replis. De là à l’imaginer au milieu de terrain, il y a un pas que Didier Deschamps a franchi. Dans son nouveau costume, le No 7 abat une activité à la perte de balle rarement vue pour un attaquant de sa trempe. C’est là où sa transformation est la plus spectaculaire. «Pour lui, ce n’est pas un sacrifice, a fait remarquer son sélectionneur. Il prend autant de plaisir à tacler et récupérer un ballon qu’à délivrer une passe vers l’avant.»
Comment occulter, sur ce point, l’influence de Diego Simeone? L’entraîneur-gourou de l’Atlético de Madrid doit se délecter des performances de son joueur, qu’il a complètement modelé à son image.
En phase défensive, la France s’organise en 4-3-1-2. Placé entre une ligne de trois Dembélé - Tchouaméni - Rabiot et le duo de devant Giroud - Mbappé, Griezmann est chargé de gêner la relance adverse en harcelant la sentinelle ou les milieux qui décrochent. Il lui arrive également d’initier le premier pressing en s’aventurant jusqu’au gardien.
Naturellement, tout n’est pas parfait. «Grizou» découvre des mécanismes et lorsqu'il se projette, il libère des espaces dans son dos. Ce qui a causé quelques problèmes aux Bleus contre l’Australie. Le staff a immédiatement rectifié le tir: dès la deuxième sortie, face au Danemark, Griezmann est davantage redescendu à hauteur de la deuxième ligne pour fermer l’axe. Mieux, il s’est attelé à un gros travail de couverture.
Au-delà de ces ajustements, il y a l’énergie avec laquelle il se déploie. En exceptant le match de la Tunisie, où la France présentait une formation largement remaniée, Griezmann réalise en moyenne 38 pressions par rencontre, agrémentées de 4,25 tacles et autant de récupérations. Le tout en galopant 11,2 km.
Si Kylian Mbappé est l’astre incontestable de cette équipe de France, Antoine Griezmann, lui, en est le cœur et les poumons.