FranceMultiplication des incidents de sondes avant le crash du Rio-Paris
Au procès du crash du vol Rio-Paris, mercredi, le tribunal s’est penché sur les défaillances de certaines sondes, récurrentes dans les mois précédant l’accident.
Les défaillances de certaines sondes, centrales dans le crash du Rio-Paris, s’étaient multipliées dans les mois qui ont précédé l’accident. Le Tribunal correctionnel de Paris est revenu mercredi sur ces «clignotants» avec des responsables de la Direction générale de l’aviation civile (DGAC).
Le vol AF447 s’est abîmé en pleine nuit dans l’Atlantique le 1er juin 2009, emportant les vies de ses 228 occupants, alors qu’il traversait en haute altitude la zone météo difficile du front intertropical (FIT), au large du Brésil.
Les sondes de mesure de vitesse Pitot ont alors gelé, entraînant la déconnexion du pilote automatique et la perte des indications de vitesse. Surpris, les pilotes ont perdu le contrôle de l’appareil et n’ont pas pu rattraper son décrochage. L’année précédente, des givrages similaires avaient été recensés à un rythme inédit – 17 cas entre 2003 et 2008, dont neuf en 2008. D’autres seront signalés rétrospectivement après le crash.
Danger sous-estimé?
Le traitement de ces incidents est au cœur des charges pesant sur Airbus et Air France, jugés pour homicides involontaires depuis le 10 octobre à Paris: elles sont soupçonnées d’avoir sous-estimé le danger et de ne pas avoir assez formé et informé les équipages.
En 2008, dans les incidents enregistrés par Air France auprès de la DGAC, l’administration responsable en France, il n’y a pas eu de «point d’alerte particulier lié à un risque de problème grave», déclare Maxime Coffin, directeur du contrôle et de la sécurité jusqu’au 1er janvier 2009. En septembre 2008, cependant, il explique avoir reçu une lettre du patron d’Air Caraïbes, s’alarmant de deux incidents de ce type.
«Il me disait: «Nous, on pense qu’il faut corriger ça en changeant de modèle de sonde et on s’est adressé à Airbus, qui ne nous donne pas des réponses satisfaisantes», décrit-il. On s’est dit: «Il faut qu’on transmette ce courrier à l’Agence européenne de sécurité aérienne (AESA), parce que c’est elle qui pourra intervenir.» À partir de 2003, en effet, une partie des compétences de la DGAC a été transférée à Cologne, en Allemagne, siège de l’agence européenne.
«Tardive et inefficace»
La présidente du tribunal, Sylvie Daunis, rappelle le nombre d’incidents, le fait qu’en 2001 un précédent modèle de sondes avait déjà été interdit, qu’en 2003 un accident de ce type avait fait 26 blessés légers. «Et, malgré cela, vous nous dites, comme d’autres personnes, qu’à cette époque-là il n’y a pas de prise de conscience d’une dangerosité particulière?» s’étonne la magistrate.
«On sait que le constructeur a été informé et qu’il est en train de trouver une solution, et on sait aussi que (…) les équipages ont été informés du problème, répond Bernard Marcou, qui coordonnait alors la surveillance d’Air France à la DGAC. On aboutissait à un niveau de sécurité qu’on jugeait acceptable à l’époque.»
Air Caraïbes, XL Airways, Corsair comme Air France ont, à l’époque, diffusé des notes à leurs équipages – celle d’Air France ayant été qualifiée de «tardive et inefficace» par des experts pendant l’instruction. «Quelle marge de manœuvre avait la DGAC? Est-ce qu’elle pouvait émettre une consigne?» demande la présidente.
«Patate chaude»
«Est-ce qu’on aurait pu faire une consigne opérationnelle, sans doute, mais (…) on savait que les compagnies faisaient ce qu’il convenait de faire et, bien entendu, on avait vérifié que les procédures étaient citées dans les manuels d’exploitation. Pour moi, je pense qu’on a fait exactement ce qui était notre devoir de faire», ajoute-t-il.
Dans la lettre d’Air Caraïbes, «est-ce qu’il n’y a pas plus qu’un clignotant», nécessitant davantage que de «refiler la patate chaude?» questionne notamment Me Alain Jakubowicz pour les parties civiles. «Du tout», estime Maxime Coffin, qui dit avoir agi par souci d’«efficacité». «Il s’agit que l’analyse de la gravité de cette panne soit faite par ceux qui en ont les compétences, et depuis 2003 ce n’est plus nous.»
Ce n’est qu’en mars 2009 que l’AESA répondra à la DGAC: elle décide de ne pas émettre de «consigne de navigabilité», qui aurait obligé le remplacement des sondes par d’autres modèles semblant geler moins souvent. Air Caraïbes l’avait fait par précaution à l’automne 2008; Air France l’engagera à partir d’avril 2009. Les sondes de l’A330 du Rio-Paris n’avaient pas encore été remplacées.