Montreux JazzRiopy: le piano l’a sorti d’une secte
Si, aujourd’hui, ses compositions instrumentales touchent des millions de personnes, le Français a pourtant vécu une enfance d’«esclave». Rencontre.
- par
- Laurent Flückiger
Le piano a sauvé la vie de Riopy (de son vrai nom Jean-Philippe Rio-Py). La formule n’est pas exagérée. Tout petit, il a été entraîné dans une secte du centre-ouest de la France avec ses deux sœurs et deux frères par leur mère. Il en est sorti à l’âge adulte et aujourd’hui, à 39 ans, ses morceaux instrumentaux comptent des millions de streams, on les entend dans des pubs ou des bandes-annonces de films comme «Shape of Water» et «The Danish Girl». Il a même été un temps numéro un du classement du Billboard américain avec son album «Tree of Light» (2019).
C’est que la musique de Riopy fait du bien. D’ailleurs, dimanche soir dans un Lisztomania plongé dans le noir, les spectateurs l’écoutaient avec une attention totale. Lors de notre interview l’après-midi, il nous confiait combien il était ravi d’être en Suisse et qu’avec son épouse ils cherchaient une maison pour s’y installer. «Pas un appartement. Il ne faut pas que j’aie de voisins si je me lève à 3 h du matin pour jouer du piano, explique Riopy qui confie avoir désormais une vie très saine. Je médite deux fois par jour, je jeûne beaucoup, je suis végétarien, je ne bois pas, je ne fume pas. Je n’étais pas comme ça avant.»
Comment étiez-vous avant d’être ce pianiste à succès et à cette vie si saine?
J’ai grandi avec un peu une vie de merde et je pensais me soigner avec un verre de vin, deux, etc. J’étais en Angleterre, je buvais beaucoup, aussi parce que c’était le seul moyen d’être intégré. Et puis j’ai enfin commencé à gagner ma vie avec la musique, je faisais des petits concerts, je composais des trucs. Mon rêve se réalisait. Mais ça n’a pas réglé mon problème de fond, mon anxiété, ma dépression. J’étais censé être heureux avec mon piano dans mon grand appart et je me sentais pourtant toujours misérable. Et du jour au lendemain, je me suis poussé à faire du hot yoga. J’ai tout arrêté, j’ai jeûné pendant presque dix jours, je me suis mis à lire tout ce que je pouvais trouver sur le cerveau et j’ai commencé à étudier les neurosciences. Je voulais comprendre comment ça marche, parce que je ne pouvais pas continuer à être malheureux comme ça.
Vous avez d’ailleurs accordé votre piano à 432 hertz parce que c’est une fréquence qui développerait un sentiment de bien-être.
Ma musique est sortie pour m’aider d’abord moi. C’est elle qui m’a aidé à survivre. Puis, j’ai reçu plein de messages de fans qui disaient qu’ils ressentaient quelque chose de très similaire, que ça leur faisait du bien. Et ce sont eux qui m’ont parlé de la fréquence à 432 hertz. J’ai voulu essayer, j’ai réaccordé mon piano, et c’est vrai qu’il y a quelque chose de différent, de déstressant.
Au moment de composer un morceau, vous réfléchissez à ce qu’il ne soit pas triste pour toujours apporter ce bien-être à vos auditeurs?
C’est une superbelle question, c’est la première fois qu’on me la pose. Je suis quelqu’un qui croit au karma: ce que tu donnes, tu reçois. Et jamais je ne voudrais donner quelque chose qui soit négatif. Mais je me suis interrogé à ce sujet pour mon morceau «Human Compassion», et je crois que c’est une tristesse qui ouvre quelque chose, qui fait évoluer parce qu’elle va au cœur.
Enfant, vous étiez dans une secte. Qu’est-ce que ça signifie? Vous étiez prisonnier et un jour vous avez réussi à fuir?
Être dans une secte, c’est: tu te lèves le matin et on te dit ce que tu fais, ce que tu manges, ce que tu portes, ce que tu vois, ce que t’écoutes… Tout! On essaie de te mettre dans un mode où tu deviens un esclave. À casser la famille, casser les relations entre tes frères et sœurs, ta mère, ton père, pour que tu deviennes un petit esclave. Je travaillais dans toutes les maisons, il y avait la maison mère et il y avait des maisons à côté. Donc on vivait avec ces gens.
Et vous décidez de partir un jour, et personne ne vous retient?
Ce qui est horrible, c’est que j’ai dû partir parce que je n’ai pas eu le choix, le jour de mes 18 ans. Je n’ai jamais autant pleuré de toute ma vie. Mais je n’ai pas pu me retourner. Je pensais réussir mon rêve qui était de vivre de ma musique et revenir chercher mes frères et sœurs. Je pensais revenir dix ans plus tôt, et ça a pris dix ans de plus. C’est le plus dur pour moi. J’aimais tellement mes frères et sœurs et je ne les ai pas vus pendant presque quinze ans, je ne les ai pas vu grandir. Jamais je ne récupérerai ça.
Pourquoi acceptez-vous d’en parler?
Parce que ça explique ma musique, d’où elle vient. Ce n’est pas du marketing. Et aussi parce que quand tu as des problèmes et que tu arrives à t’en sortir, il faut en parler.
Chris Martin, de Coldplay, vous aurait offert un piano. C’est vrai?
Oui, c’était il y a onze ans, lors d’une soirée pour une marque de sac dont Gwyneth Paltrow était l’égérie. J’étais invité pour jouer un morceau, c’était une première. On m’avait payé mille euros, le rêve. Apparemment, Chris était là juste pour m’écouter. Après, il m’a fait un gros câlin, il voulait que je reste avec eux mais j’étais gêné. Trois semaines plus tard, j’ai reçu un coup de fil où on me disait que Chris m’offrait un piano. Et c’est sur ce piano que j’ai enregistré mon premier album.
Votre vie est un roman. Allez-vous la raconter un jour dans un livre?
J’ai commencé. Aujourd’hui, je n’ai aucun regret et je n’ai rien à cacher.
Vous avez sorti vos trois premiers albums entre 2018 et 2021. Un nouveau est-il prévu pour bientôt?
Il y aura une version deluxe de «Bliss», le 26 août. Pour moi, ces trois albums forment une trilogie. Cela parle de moi, de la secte que j’ai attaquée au tribunal, c’était une bombe nucléaire. Une porte s’est fermée et une nouvelle vie commence: j’ai renoué avec ma famille, je suis papa. C’est rigolo la synchronicité dans une vie. La suite est une nouvelle étape. Mais comme je suis très superstitieux, je la garde encore secrète.