InterviewLes Vieux fourneaux, la BD qui avait vu venir les manifs en France
Paul Cauuet, le dessinateur de la série qui a inspiré le cinéma, nous explique comment ses trois papys reflètent si bien le climat social de l’Hexagone.
- par
- Michel Pralong
En moins de 10 ans, Antoine, Pierrot et Mimile sont devenus des personnages de BD très populaires. Chaque tome de la série des «Vieux fourneaux» est tiré à 250 000 exemplaires et, après 7 volumes, plus de 2 millions se sont vendus. Deux films ont été tirés de cette série. L’une des principales raisons de ce succès, c’est l’ancrage dans la réalité de cette comédie qui met en scène trois papys. Sorti en novembre 2022, le tome 7, «Chauds comme le climat» nous décrit une France en pleine fracture sociale et en proie aux manifestations. Et c’était avant la réforme des retraites.
«Le scénario, Wilfrid Lupano l’a écrit il y a deux ans, nous explique le dessinateur Paul Cauuet venu au Salon du livre à Genève. Parfois, ça le fait un peu flipper ses prédictions, il nous fait des trucs à la Nostradamus. Même si, pour les manifs, ce n’est évidemment pas si rare en France. Mais c’est vrai que ces cases avec des CRS, surtout dans ce dernier album, trouvent un écho particulier avec ce qui se passe ces jours».
«J’avais envie de dessiner des vieux»
Parler de notre société, du monde qui nous entoure, c’était justement l’envie des deux auteurs au moment de créer la série. Lupano et Cauuet avaient déjà signé «L’honneur des Tzarom», une histoire de gitans dans un monde futuriste. Deux tomes très sympas, mais qui avaient fait un flop. «On venait d’essuyer un échec commercial et, sans transition et sans le savoir, nous allions enchaîner avec un succès. Quand nous nous rencontrions, avec Wilfrid, nous parlions de notre société, de notre époque. Alors quand nous avons dû trouver une autre idée, on s’est dit qu’il fallait faire cela. Et moi j’avais envie de dessiner des vieux, je les trouve formidables, comme dans «Groland», l’émission télé». Lupano a alors créé «Les vieux Fourneaux». L’éditeur, Dargaud, retient la sortie du premier tome afin de vite pouvoir suivre avec le deuxième. Le premier paraît en avril 2014, le deuxième en octobre de la même année. Bon choix stratégique, la série décolle immédiatement.
«Les libraires ont été les premiers à crocher et en ont parlé à leurs clients. Ensuite, ce sont des albums qu’on se passe dans les familles. Nous avons réussi à créer des personnages qui ont séduit les gens, c’est bien. Et je crois que ce que le public sent, c’est que l’on s’amuse en faisant ces BD. Wilfrid m’apporte le scénario écrit et a hâte de savoir ce que j’en pense, cela l’énerve quand je ne le rappelle pas très vite. Et moi, quand je commence la lecture, je suis comme dans un train sans savoir où celui-ci va m’emmener et je me régale».
«J’adore dessiner la nourriture»
Dessiner un album, c’est toujours un plaisir? «Je ne me vois pas comme un dessinateur mais comme un raconteur. Je commence par placer les dialogues dans mon story-board. Je fais jouer mes personnages, je mets du rythme, c’est vraiment du théâtre. Ensuite, il faut nourrir la scène, avec les décors, d’autres personnages, des objets. Mais je déteste dessiner les voitures modernes… et les chaussures. Si vous regardez bien, je trouve plein d’astuces pour cacher les pieds tant que je peux».
Mais dans ce tome, Paul Cauuet s’est particulièrement éclaté. «Le barbecue y joue un rôle important et j’adore dessiner la nourriture. Cela remonte à mes lectures d’Astérix enfant, Uderzo dessinait si bien le sanglier rôti. Cela me mettait l’eau à la bouche et j’ai été très déçu la première fois où j’en ai goûté. Alors dans la scène de pique-nique du début, je me suis lâché: cakes, salades, saucisses… un régal».
Deux adaptations au cinéma
Déjà populaire, la série a encore augmenté ses ventes après la sortie de l’adaptation du premier tome au cinéma, en 2018, avec Jean Giraud, Eddy Mitchell et Pierre Richard. «Alors que nous n’en étions qu’au tome 4. Quand on nous a parlé du projet, nous avions plutôt tendance à mettre le frein, parce que rares sont les bonnes adaptations de BD au cinéma. Mais Wilfrid a pu écrire le scénario et le réalisateur. Christophe Duthuron, était un fan de la série. Après le film, les ventes ont connu un nouveau bond».
Succès oblige, un deuxième film a été fait, ce qui n’est pas toujours une bonne idée. «Il est sorti l’été dernier, en plein creux de fréquentation. Le cinéma, c’est un monde compliqué et cela ne m’a pas donné envie d’en faire, même si c’est quand même un bonheur de voir ses personnages à l’écran. Après, il ne fallait surtout pas que je dessine les miens pour ressembler désormais aux acteurs. Ils n’ont pas bougé».
Un album tous les deux ans
Quoi que. Car le temps passe, dans «Les vieux fourneaux». «Cela se voit moins sur les trois personnages principaux, mais les gens vieillissent. Et nous n’allons pas passer le restant de nos vies sur cette série. Mais tant que nous nous amuserons et que nous aurons des choses à raconter, nous continuerons. Le succès nous a donné le luxe de pouvoir prendre notre temps avec un album tous les deux ans. Donc rendez-vous à l’automne 2024»,