FootballL’invraisemblable qualification du FC Bulle pour la prochaine Coupe de Suisse
Les Gruériens allaient prendre la porte. C’était acté. Puis ils ont marqué trois fois entre la 115e et la 119e minutes pour arracher leur ticket à Uzwil (5-4). Triple buteur, Arthur Deschenaux raconte.
- par
- Florian Vaney
La 1re ligue présente un avantage qu’aucune autre division en Suisse ne peut se targuer de faire valoir. On y trouve le meilleur compromis entre niveau de jeu et implication demandée. Autrement dit: pour des efforts au quotidien raisonnables, vous pouvez être confrontés à une opposition très intéressante le week-end. Ce n’est pas une science exacte, les exceptions sont nombreuses, mais c’est ce vers quoi tend la quatrième division nationale, où bon nombre de joueurs de niveau supérieur posent leur valise en se réjouissant de ne pas devoir traverser la Suisse chaque semaine. Les exceptions? Le FC Bulle en a vécue une mémorable samedi.
Les Gruériens, 3es du groupe 1 de 1re ligue, étaient attendus à Uzwil, 8e du troisième et dernier groupe. Cela ne se produit jamais en temps normal, sauf lorsqu’il s’agit d’un match de finale ou de qualification pour la Coupe de Suisse. Comme samedi. «Aller jusqu’à Saint-Gall, ça va une fois dans la saison. Trois heures de car à l’aller, la même chose au retour… On avait les jambes lourdes en sortant. Et je crois qu’on peut dire qu’elles sont restées dans cet état pendant une bonne partie du match», grince Arthur Deschenaux, attaquant du FCB.
De mal en pire
Uzwil? Le Fribourgeois décrit. «Leur complexe sportif est magnifique. Leur terrain fait un peu penser à celui de Bavois. En tout cas, ça souffle vite beaucoup. Le match avait l’air de compter pour les gens de là-bas. Il devait y avoir entre 300 et 500 personnes. Vu qu’aucune tribune n’existe, ça donne vite une impression de nombre lorsqu’elles s’empilent le long des barrières.»
Voilà pour le déplacement trois fois plus long que ceux du quotidien. Et pour le niveau de jeu de qualité… «Ça fait des lustres qu’on n’a pas été aussi mauvais. Uzwil, eux, viennent de monter de 2e ligue inter: ça se sent. Disons qu’ils n’hésitent pas à mettre le pied. Quoi qu’il en soit, ça doit être l’une des équipes les plus faibles qu’on ait affrontée cette saison.» Le cadre est posé: il n’y a rien qui va. L’atmosphère idéale pour donner lieu à un match improbable.
Les Bullois commencent par deux cadeaux, entrecoupés de deux buts pour équilibrer la balance. 2-2 à la mi-temps, et des Saint-Gallois à dix pour avoir perdu sur expulsion leur double buteur juste avant la pause. «Leur meilleur joueur, en plus», souffle Arthur Deschenaux. Tout aurait dû devenir plus simple. Mais pas samedi, avec ce ticket pour la prochaine édition de la Coupe de Suisse à la clef.
Le cercle de la dernière chance
«On a commencé à stresser, à réfléchir à l’enjeu. À un moment, j’ai repensé au 16e de finale qu’on a joué contre le Lausanne-Sport en septembre, à ce match génial (ndlr: perdu 3-2 aux prolongations à Bouleyres). Je me suis dit que ce n’était pas possible qu’on manque l’occasion de tirer de nouveau une grosse équipe à cause d’un match affreux comme ça. Pourtant, on allait de moins en moins vers le beau, même à 11 contre 10. L’espace entre nos lignes augmentait. À la fin, il n’y avait plus de milieu: une défense, une attaque, point.»
Arrivent les prolongations, et les deux coups de marteau. Uzwil mène 4-2 à la 100e minute. «Alors qu’on avait fait trembler tous les poteaux du stade», s’agace l’ancien joueur d’Yverdon Sport et espoir du FC Lucerne, 169 matches de 1re ligue au compteur. Lucien Dénervaud, l’entraîneur bullois, abat sa dernière carte. «On s’est réuni entre les deux prolongations, en cercle. Le coach nous a transmis toute la positivité possible, tout ce qui lui restait. Je ne sais plus si j’y croyais encore vraiment à ce moment-là. Vu à quel point on était supérieurs, sans doute un peu.»
Dix minutes passent. Rien. Le FC Bulle était bon pour retenter sa chance l’an prochain et rentrer chez lui dans un silence de cathédrale. 115e minute: 4-3. L’espoir. Une faute de main, un penalty: 4-4 à la 116e! «Il faut savoir que je ne marque à peu près jamais de la tête», prévient Arthur Deschenaux, un peu trop modeste sur ce coup. C’est bien dans les airs qu’arrive le ballon qui finit de placer cette rencontre au panthéon des matches les plus dingues de la catégorie. 119e, le coup de tête du numéro 25 est parfait. Les Gruériens viennent de marquer trois fois en quatre minutes. Ils joueront la prochaine Coupe de Suisse.
«Lorsque l’arbitre a sifflé, pour nous, on avait gagné la Ligue des champions. On a tout oublié.» 115 minutes de galère pour un bonheur qui s’étendra jusqu’à l’été prochain et au premier tour de la compétition. Arthur Deschenaux sourit. «Le retour en car a passé en un clin d’œil.»