FootballQuand un concours de logos vire à la démonstration de force
Twitter s’est agité durant la dernière semaine pour savoir quel club suisse possédait le plus bel écusson. Ce qui en est ressorti? Certainement pas une réponse objective, mais l’assurance que les Genevois n’ont pas leur pareil pour se mobiliser sur les réseaux.
- par
- Florian Vaney
Cela devait ressembler à un concours de logos. 128 équipes sélectionnées pour des duels à élimination directe jusqu’à la finale, censée élire le plus bel écusson footballistique de Suisse. Le jeu, chapeauté par le compte Twitter spécialisé Swiss Football Data, a déchaîné les passions sur le réseau à l’oiseau, jusqu’à susciter près de 70’000 votes sur l’ensemble de la compétition. Les utilisateurs de la plate-forme se sont surpris à se découvrir un attrait pour des grenouilles (FC Ependes et FC Küttigen) voire même une forte attirance pour le pingouin au bandana du SC Wipkingen. Le vainqueur? Servette. Qui n’est pas tant le gagnant de l’esthétisme, plutôt celui de la mobilisation.
Non, le but premier du tournoi n’a pas été rempli. Mais pour la peine, celui-ci a mobilisé les foules d’une manière inespérée. C’est le risque de tout concours en ce genre: glisser vers la rivalité de popularité, avec ses failles et ses avantages. Quoi qu’il en soit, à ce jeu-là, personne en Suisse et sur les réseaux ne fait mieux que les Genevois. Si bien que le dernier adversaire de Servette en finale s’est nommé… Carouge.
La carte jeunesse
La démonstration de force témoigne de deux choses. Premièrement, ce Servette FC qui joue parfaitement la carte des réseaux sociaux pour séduire et qui a bien compris l’importance que représente le challenge du rajeunissement de son public. Si bien que le club a été l’un des premiers à intervenir dans le concours, demandant à ses suiveurs d’aller voter où d’autres ont préféré garder de la distance. Deuxièmement, l’émulation qui règne parmi les amoureux du club grenat, qui ont fait de leur vote quotidien un passage obligé et surtout bruyant.
Aucune surprise là-dedans: à longueur d’année, les fans servettiens sont de loin ceux qui se font le plus entendre sur le web, en tout cas en Romandie. Étudiant en droit, Jonathan Tunik est l’un d’eux. Et il vient de passer une excellente semaine. «C’est vrai qu’on a un peu détourné le concours original, sourit-il. Carouge faisait partie de mes préférés, mais sinon, mes autres favoris n’ont pas tenu la distance… Et effectivement, je ne considère pas que le logo de Servette soit le plus beau de Suisse. Reste que j’ai l’impression qu’on a donné de la valeur et de la visibilité à la compétition.»
Cela ressemble à une réalité. Le concours a fini par se muer en bataille entre les pro et les anti Servette, où victoire et défaite sont devenues une affaire d’identité. Comme si les codes d’un match de football s’étaient transportés sur Twitter à l’heure où le championnat est en pause et l’accès futur au stade tout sauf garanti. Les pages officielles des clubs en lice sont entrées tour à tour dans le jeu, qui n’a donc très vite plus rien eu d’esthétique.
Dans cet univers-là, la communauté internet servettienne possède une bonne longueur d’avance sur la concurrence. «Aujourd’hui, certains créent des vidéos, d’autres écrivent des interviews, d’autres encore partagent des statistiques ou se lancent dans l’analyse», détaille Jonathan Tunik. Autant de portes d’entrée pour faire vivre l’esprit grenat en dehors des matches ou des fenêtres agitées de mercato. «Ce qu’il faut souligner, c’est que ce sont souvent des jeunes qui se retrouvent à l’origine de ces projets. La nouvelle génération s’identifie à ça. Lorsque j’ai commencé à venir voir des matches de Servette, j’aurais adoré qu’il se passe autant de choses.»
Objectivité non garantie
La passion déborde par moment. Derrière ses qualités se mêlent parfois une désagréable culture de l’instant avec une mauvaise foi épatante. «Parfois, j’aimerais bien qu’on se rapproche du modèle de l’OL, qui s’appuie sur une communauté de suiveurs portée par énormément d’autodérision et beaucoup d’humour», pose Jonathan Tunik, lui-même bien conscient que l’objectivité est une valeur très relative sur les réseaux sociaux.
«Lorsqu’on martèle la statistique qui dit que Miroslav Stevanovic (ndlr: l’ailier bosnien de Servette) est le meilleur passeur d’Europe, on sait bien qu’il y a une part de mauvaise foi là-dedans. C’est une façon de se faire entendre par la répétition. Sans doute que, en tant que communauté, on peut faire mieux. Dans le cas présent, on pourrait imaginer un montage vidéo de toutes les passes décisives de «Micha», par exemple. Ça, ce serait le top.»
Bien implanté en Super League, Servette l’est aussi sur internet. Où il gagne même les trophées auxquels il ne peut pas encore rêver sur le terrain.