Pacifique«On ratiboise la jungle, et on a un aérodrome»
Pour contrer la Chine dans le Pacifique, l’aérodrome du bombardement d’Hiroshima, grignoté depuis des décennies par la jungle, est désormais rénové par l’armée américaine.
Pour combattre l’influence croissante de la Chine en Asie-Pacifique, les Etats-Unis investissent des milliards de dollars dans de nouveaux sites stratégiques, autant de bases militaires alternatives pouvant servir en cas d’attaque sur ses infrastructures principales. Cette politique, menée avec «un sentiment d’urgence» selon Washington, répond à celle, similaire, de Pékin, qui depuis des années transforme des îlots en bases militaires dans les eaux hautement contestées de la mer de Chine méridionale.
Mais quand la Chine doit construire ses pistes de toutes pièces, les pieds dans l’eau, «la réhabilitation d’aérodromes de la Seconde Guerre mondiale a donné à l’Armée de l’air dans le Pacifique un moyen de mise en place rapide d’infrastructures dans la région», déclare à l’AFP un porte-parole de cette branche du Pentagone.
Ainsi, à Tinian, territoire américain près de Guam, l’aérodrome historique du nord de l’île «possède un large revêtement sous la jungle débordante». «Nous allons débroussailler cette végétation entre maintenant et l’été prochain» pour en faire une «grande» base, a récemment déclaré au journal Nikkei le général Kenneth Wilsbach, commandant de l’Armée de l’air américaine dans le Pacifique.
Si elle a déjà lancé des travaux près de l’aéroport civil actuel, l’US Air Force va donc aussi rénover ce qui fut, en 1945, le plus important aéroport de la planète. Là, à 2300 kilomètres au sud du Japon, des dizaines de B-29 se relayaient pour inlassablement bombarder l’empire ennemi. Aménagée en toute hâte une fois l’île prise aux Japonais, cette base avancée est ensuite choisie pour les premières bombes nucléaires. C’est depuis cet îlot de l’archipel des Mariannes qu’ont décollé en août 1945 les avions qui ont largué sur Hiroshima puis Nagasaki «Little Boy» et «Fat Man».
Sortir le carnet de chèques
Près de 80 ans plus tard, les bulldozers sont de retour à Tinian avec Pékin dans le viseur. «L’entreprise coercitive et de plus en plus agressive de la Chine pour remodeler la région Indo-Pacifique» représente «le plus grand et le plus grave des défis pour la sécurité nationale des Etats-Unis», relevait en 2022 le document qui fixe la stratégie de l’armée américaine pour les années à venir.
Sur les trois dernières années, le budget annuel alloué aux constructions militaires américaines en Asie-Pacifique a doublé, passant selon un rapport du centre de recherche du Congrès de 1,8 milliard en 2020 à 3,6 milliards en 2023. L’approche du Pentagone est claire: multiplier les bases pour être plus flexible et pouvoir opérer en dehors des grandes bases américaines existantes au Japon, en Corée du Sud et sur l’île de Guam.
«Faire une sieste et redécoller»
«Une grande partie de notre stratégie, c’est de reprendre les aérodromes de la Seconde Guerre mondiale», a dit en septembre lors d’une conférence le patron de l’US Air Force dans le Pacifique. «On ratiboise la jungle, et on a un aérodrome.» «On ne fait pas d’immenses bases», a insisté Kenneth Wilsbach. «On cherche juste à avoir un endroit où il y a du carburant, de l’armement, peut-être quelque chose à grignoter, faire une sieste, pour pouvoir redécoller.»
C’est exactement le modèle appliqué à Tinian, où des travaux de rénovation ont débuté en février 2022, d’abord près de l’aéroport actuel, avant de s’étendre ensuite vers l’ancien aérodrome de la Seconde Guerre mondiale, du nord de l’île. C’est notamment «un sentiment d’urgence» qui a permis à l’armée américaine, avec ces nouvelles installations, d’«améliorer la posture de dissuasion» dans la région, a déclaré le porte-parole l’armée de l’Air dans le Pacifique.
D’ici deux ans doit être bouclée la réhabilitation d’immenses morceaux de tarmac, pour garer les avions, et la construction de citernes de carburant afin «d’assurer la capacité de remplir les objectifs de mission au cas où la base aérienne d’Andersen (à Guam) ou d’autres sites du Pacifique ouest deviendraient inaccessibles», relèvent des documents financiers de l’armée américaine. Budget: au moins 162 millions de dollars.