SoudanTrois manifestants tués dans un coup d’État qui suspend la transition
Descendu en nombre dans les rues de Khartoum, le peuple semble décidé à défendre «sa» révolution. La communauté internationale, elle, demande la libération des ministres.
Trois personnes ont été tuées et 80 blessées par des tirs de l’armée, lundi, à Khartoum, lors de manifestations massives dénonçant un coup d’État au Soudan et l’arrestation de la quasi-totalité des dirigeants civils.
Après que le général Abdel Fattah al-Burhane eut dissous les autorités de transition dans un putsch dénoncé à l’international, le Premier ministre Abdallah Hamdok, son épouse, nombre de ses ministres et tous les membres civils du Conseil de souveraineté - plus haute autorité de la transition - étaient toujours dans «un lieu inconnu» aux mains des militaires, a indiqué son bureau.
La rue, elle, bien décidée à ne pas voir s’échapper la transition démocratique qu’elle pensait voir naître en renversant, en 2019, le dictateur Omar el-Béchir, continuait, lundi, de crier son opposition au coup de force de l’armée. «Le peuple a choisi un État civil», et «non un pouvoir militaire», ont scandé les manifestants à Khartoum.
Transition «toujours souhaitée»
Dans le pays pauvre d’Afrique de l’Est, quasiment toujours sous la férule des militaires et des islamistes depuis son indépendance, il y a 65 ans, la transition battait de l’aile depuis longtemps. En avril 2019, l’armée a mis fin à 30 ans de pouvoir Béchir, sous la pression d’une mobilisation de masse et, depuis août de la même année, le Conseil de souveraineté, composé équitablement de civils et de militaires, a pris la tête du pays, promettant les premières élections libres fin 2023.
Mais lundi matin, la télévision d’État a été prise par les militaires et, à la mi-journée, le général Abdel Fattah al-Burhane y est apparu, répétant qu’il souhaitait toujours «une transition vers un État civil et des élections libres en 2023», malgré la relève de tous les dirigeants de leurs fonctions.
«Le gouvernement est dissous, de même que le Conseil de souveraineté, les préfets et ministres sont limogés, et l’état d’urgence est déclaré dans tout le pays», a déclaré le général.
«La dictature comme option sur la table»
En fin d’après-midi, un syndicat de médecins prodémocratie recensait «trois morts et plus de 80 blessés» par des balles «de l’armée», alors que des milliers de Soudanais continuaient d’appeler à la «désobéissance civile» et à la «grève générale», faisant écho à l’appel du bureau d’Abdallah Hamdok à «manifester» contre le «coup d’État» pour «sauver» la «révolution» de 2019.
Car, explique Jonas Horner, chercheur à l’International crisis group, «c’est un moment existentiel pour les deux camps», civil et militaire. «Ce genre d’intervention repose la dictature comme option sur la table». «Ce serait un désastre», abonde Michelle Bachelet, la haut-commissaire aux droits humains de l’ONU, «si le Soudan revenait en arrière après en avoir fini après des décennies de dictature.»
Craignant pour la vie du chef de gouvernement, dont de nombreuses capitales réclament la libération, le bureau d’Abdallah Hamdok a averti que les autorités militaires portaient «l’entière responsabilité» de son sort dans un pays déjà secoué par un coup d’État manqué, il y a un mois.
Washington menace
Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a condamné le «coup d’État militaire», exhortant à la «libération immédiate du premier ministre et de tous les autres dirigeants» arrêtés, ainsi qu’au respect de la «Charte constitutionnelle». Ce texte, signé par tous les acteurs anti-Béchir en 2019, prévoit des élections fin 2023 et une transition civile, à laquelle le général Burhane a dit être toujours engagé une fois un nouveau gouvernement et un nouveau Conseil de souveraineté nommés.
Le Conseil de sécurité de l’ONU devrait tenir mardi après-midi une réunion d’urgence à huis clos, ont indiqué lundi des diplomates à l’AFP. Cette session a été réclamée par six pays occidentaux, le Royaume-Uni, l’Irlande, la Norvège, les États-Unis, l’Estonie et la France, a-t-on précisé de mêmes sources.
Les États-Unis, dont l’émissaire Jeffrey Feltman était, la veille, encore dans le bureau du Premier ministre, ont déjà prévenu que «tout changement du gouvernement de transition mettait en danger l’aide américaine». L’Union européenne a, elle, appelé la communauté internationale «à remettre la transition soudanaise sur les rails» et enjoint au «rétablissement des télécommunications», largement coupées dans le pays lundi.
Face à ces critiques qui s’accumulent à l’étranger, le général Burhane a donné un gage de poids: il s’est engagé à respecter les accords internationaux signés par le Soudan, l’un des quatre États arabes à avoir récemment décidé de reconnaître Israël.
Le DFAE déconseille de se rendre dans le pays
Le Département fédéral des affaires étrangères annonce mardi sur son site internet qu’il est déconseillé de se rendre au Soudan pour des voyages touristes ou tout autre voyage qui ne serait pas urgent. Les communications téléphoniques et l’accès à internet peuvent être temporairement bloqués et il faut s’attendre à d’autres manifestations entraînant des morts, précise le DFAE.
«Si vous devez tout de même vous rendre au Soudan pour des motifs impérieux, informez-vous, avant le départ et pendant votre voyage, dans les médias et par le biais d’une personne de contact locale sur l’évolution de la situation, conseille le département. Tenez-vous à l’écart des barrages routiers, rassemblements de foule et manifestations de tout genre et conformez-vous aux directives des autorités locales (par exemple couvre-feux). Limitez vos déplacements à l’intérieur du pays au minimum indispensable et vérifiez au préalable les conditions de sécurité.» red