RussieLe groupe Wagner, une marque en suspens, un modèle qui durera
Après la mort de son boss, la formation paramilitaire va perdre en influence. Pour empêcher l’émergence d’un autre Prigojine, «il est probable que le marché se diversifie», selon une experte.
En perdant, mercredi, ses trois chefs les plus influents, le groupe russe Wagner voit sa marque considérablement affaiblie. Reste pourtant un modèle de société paramilitaire agile, indirectement lié à l’État russe, qui devrait leur survivre. En même temps que son chef charismatique Evgueni Prigojine, Wagner a vu disparaître son bras droit Dmitri Outkine et son logisticien Valery Tchekalov. De quoi considérablement altérer son fonctionnement.
Au sein de la sphère militaire sur internet, les mouvements russes d’extrême droite pleurent désormais le groupe avec aigreur, remarque l’analyste Lucas Webber, un des cofondateurs du réseau de recherche Militant Wire. «Ils décrivent une élite politique et militaire décadente, corrompue et détachée de la réalité du front. Par contraste, ils respectaient Prigojine, un personnage courageux, qui n’avait pas peur de critiquer la hiérarchie militaire et rendait fréquemment visite à ses hommes au combat», explique-t-il.
Certains évoquent des représailles. Mais elles auront du mal à se matérialiser à court terme, «vu comment le Kremlin s’est appliqué à isoler Wagner et à le placer sous haute surveillance». Le groupe avait été bien trop loin, avec sa mutinerie de juin dernier, pour échapper à la colère de Vladimir Poutine.
Poutine a retenu la leçon
La mort annoncée de Prigojine laisse aujourd’hui le champ libre au président russe pour repenser la structure de cet empire parallèle, qui a probablement payé pour s’être crue trop forte. Et pour redéfinir le secteur des sociétés militaires privées (SMP) russes.
«Une leçon que Poutine a probablement retenue de la mutinerie de juin est le danger d’accorder tant de pouvoir et de responsabilités à un seul homme», écrit Catrina Doxsee, spécialiste du mercenariat pour le laboratoire d’idées CSIS, à Washington. «Il est probable que le marché se diversifie» pour empêcher l’émergence d’un autre Prigojine.
Plusieurs groupes sont déjà sur les rangs dont Redut, Convoy ou encore Patriot. «Pour que ça fonctionne, cela demande plusieurs paramètres, dont d’avoir l’oreille de Poutine, avec de la capacité financière, et de disposer d’un outil d’influence», résume Lou Osborn, de l’ONG All Eyes on Wagner. Ces sociétés «sont moins abouties que Wagner, mais elles suivent la même construction», précise-t-elle, constatant déjà l’arrivée en leur sein de transfuges de Wagner et leurs liens étroits avec le GRU, le renseignement militaire russe.
Le double jeu du Kremlin
Avec elles, comme avec Wagner jusqu’à présent, le Kremlin est susceptible de jouer un double jeu, entre contrôle ou soutien, d’une part, et distance suffisante, d’autre part, pour ne pas avoir à répondre de chacun de leurs actes. «Il est probable que l’État russe exercera un contrôle plus direct sur les SMP dans les pays étrangers, sans totalement admettre qu’elles sont sous l’autorité directe du Kremlin», analyse ainsi Aditya Pareek, de l’institut de renseignement privé britannique Janes.
Mais la méthode du démantèlement à venir de Wagner reste incertaine. Le processus pourrait inclure «une nouvelle appellation et les sociétés dans l’orbite de Wagner pourraient être divisées en entités distinctes», puis éventuellement nationalisées ou maintenues comme quasi indépendantes, estime Catrina Doxsee.
La transition, pour autant, ne sera pas limpide. «Prigojine avait une grande liberté d’action, une grande capacité de travail, un enthousiasme évident, certaines capacités organisatrices, et il n’avait aucune appétence pour l’enrichissement personnel», estime Denis Korotkov, journaliste russe d’investigation. «Je ne vois pas d’autre figure comme lui.»
La «loyauté» à la Russie sera obligatoire
La loyauté au Kremlin ne sera plus négociable. «Le feu d’artifice de mercredi soir, c’est un message très clair: «Ne me doublez pas, c’est une affaire de survie» tranche Lou Osborn, ironisant sur le crash de l’avion de Prigojine. Dès vendredi, Poutine a signé un décret obligeant les paramilitaires à jurer «fidélité» et «loyauté» à la Russie et de «suivre strictement les ordres des commandants et des supérieurs». Car Moscou ne saurait se passer d’un tel outil, qui a fait ses preuves en Afrique, au Moyen-Orient mais aussi dans la guerre que Poutine a déclenchée chez son voisin.
«Les derniers succès tactiques en Ukraine, c’était Wagner», rappelle Maxime Audinet de l’Institut de recherche de l’École militaire, à Paris. «Sans répéter les mêmes erreurs, la tentation semble réelle de préserver ce modèle opérationnel, celui de structures capables de s’émanciper des lourdeurs bureaucratiques pour intervenir là où l’État ne souhaite pas directement s’engager».
Loukachenko veut que Wagner reste en Biélorussie
Jusqu’à 10’000 mercenaires de Wagner seront déployés en Biélorussie, selon son président Alexandre Loukachenko, après des interrogations sur l’avenir du groupe paramilitaire à la suite de la disparition de son chef Evgueni Prigojine.
«Wagner a vécu, Wagner est vivant et Wagner vivra en Biélorussie. Prigojine et moi avons déjà bâti un système sur la manière dont Wagner sera basé dans notre pays», a-t-il déclaré. «Le noyau de Wagner reste ici. Dans quelques jours, tout le monde sera là.»