Suicide assisté: Godard, un «fatigué de la vie» de plus

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Suicide assistéGodard, un «fatigué de la vie» de plus

Ils ne sont ni gravement malades ni mourants, pourtant de plus en plus de personnes souffrant de polypathologies invalidantes liées à l’âge ont recours au suicide assisté.

Renaud Michiels
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Renaud Michiels
Jean-Luc Godard a eu recours à un suicide assisté lundi.

Jean-Luc Godard a eu recours à un suicide assisté lundi.

AFP

Décédé lundi suite à un suicide assisté, Jean-Luc Godard n’était pas en fin de vie. Il ne souffrait pas d’une maladie incurable en phase terminale. Non, le réalisateur culte était un «fatigué de la vie». Il met ainsi en lumière un type de suicide assisté toujours plus courant en Suisse, même si on en parle assez peu.

Un proche du Franco-Suisse a précisé, qu’il «n’était pas malade, il était simplement épuisé». Le conseiller juridique de la famille a noté de son côté que le cinéaste, 91 ans, souffrait de «multiples pathologies invalidantes».

On imagine souvent que ceux qui optent pour un suicide assisté souffrent d’une maladie mortelle, par exemple un cancer, et sont en phase terminale. De plus en plus, pourtant, ne sont pas du tout dans ce cas de figure. En 2019 en Suisse romande, les décès de «fatigués de la vie» ont même été plus nombreux que ceux de personnes atteintes de cancer.

Pour avoir accès à un suicide assisté, Exit Suisse romande exige une capacité de discernement. Puis précise qu’il faut «être atteint soit d’une maladie incurable, soit de souffrances intolérables, soit de polypathologies invalidantes liées à l’âge».

Depuis 2014 en Suisse romande

Les personnes souffrant de polypathologies invalidantes liées à l’âge, parfois nommées un peu rapidement les «fatigués de la vie», n’ont pas accès à un suicide assisté depuis très longtemps en Suisse. Pour Exit version romande, c’est le cas depuis 2014. Mais depuis, leur nombre ne cesse d’augmenter parmi ceux qui choisissent d’en terminer.

En 2019, les cas de polypathologies avaient même dépassé ceux de cancers, devenant la première cause de décès. 352 assistances au suicide avaient été dénombrées parmi des membres d’Exit Suisse romande. 134 (38%) pour des polypathologies invalidantes liées à l’âge, 122 (35%) pour des cancers.

L’année suivante, ce n’était plus le cas, selon les données de l’association. 142 (38%) suicides assistés étaient liés à des cancers. 119 (32%) à des polypathologies. Reste que la tendance est à l’augmentation de ces profils dans l’assistance au suicide en Suisse, y compris pour des couples qui veulent effectuer leur dernier voyage ensemble.

Mais que sont les polypathologies invalidantes liées à l’âge? Comme souvent dans le domaine du suicide assisté, il n’existe pas de définitions précises. Mais il s’agit de difficultés engendrées par la vieillesse, qui peuvent se cumuler. Exemple? Des douleurs chroniques, des difficultés respiratoires, une fatigue intense, des problèmes d’audition ou de vue, de l’incontinence, une perte partielle ou totale de la mobilité ou de l’autonomie. Maux auxquels peuvent s’ajouter des souffrances psychiques, de la dépression, un sentiment d’isolement, de perte de dignité, etc.

Des sœurs de 49 et 54 ans

Et quid de l’âge? À partir de quand la vieillesse engendre-t-elle des pathologies invalidantes entraînant un droit au suicide assisté? Là non plus, aucune règle n’existe. Les données d’Exit Suisse romande indiquent que l’âge moyen des décès, dans cette catégorie, est d’environ 85 ans.

De l’autre côté de la Sarine, cependant, certains cas ont défrayé la chronique. En février dernier par exemple, deux sœurs américaines de l’Arizona ont obtenu un suicide assisté dans la société Pegasos, à Bâle-Campagne. Ces deux «fatiguées de la vie» n’avaient aucune pathologie importante, n’avaient rien dit à leurs proches, et n’avaient surtout «que» 49 et 54 ans.

La possibilité d’obtenir un suicide assisté pour les personnes souffrant de polypathologies invalidantes liées à l’âge est applaudie par certains. Crainte pas d’autres, qui redoutent des dérives. Reste que la tendance est claire: ces cas tendent à devenir courants et de plus en plus nombreux. A l’image de Jean-Luc Godard, on peut décider en Suisse, en pleine conscience, au vu de son état, que son temps restant sur terre ne vaut pas la peine d’être vécu.

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