RéchauffementL’inaction climatique suisse devant la Cour des droits de l’homme
Le tribunal de Strasbourg se penchera mercredi sur deux plaintes, dont celle des Aînées pour le climat qui reprochent à Berne de mettre leur santé en danger.
Une première «historique». La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) se penche mercredi sur l’inaction climatique présumée des États en examinant deux affaires visant la Suisse et la France. Berne est assignée par des retraitées qui dénoncent les effets du réchauffement sur leur santé, tandis que Paris est poursuivi par l’ancien maire d’une commune menacée par les eaux.
C’est la première fois que la CEDH, qui siège à Strasbourg, se saisit en audience publique de requêtes climatiques, dans un contexte où les plaintes pour contraindre les États à agir pour le climat se multiplient en Europe. Le dossier suisse ouvrira les débats à 9 h 15, suivi par le cas français à 14 h 15. La Cour ne devrait pas rendre ses décisions avant plusieurs mois.
Une cinquantaine d’aînées suisses à Strasbourg
«C’est un événement historique», estime Anne Mahrer, 64 ans, l’une des porte-parole de l’association «Les Aînées pour la protection du climat suisse». Soutenue par Greenpeace Suisse, cette association compte plus de 2000 membres, pour une moyenne d’âge de 73 ans. Une cinquantaine fera le déplacement à Strasbourg, a indiqué Mme Mahrer à l’AFP.
Depuis 20 ans, «tous les rapports montrent que tout le monde est touché» par le réchauffement climatique, les seniors particulièrement, et plus encore «les femmes âgées», «particulièrement vulnérables en termes cardiovasculaires ou respiratoires», soutient-elle. Devant la CEDH, son association entend invoquer plusieurs violations par la Confédération d’articles de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, notamment celui garantissant le droit à la vie.
L’action des Aînées pour contraindre la Suisse à agir davantage pour le climat a démarré dès 2016, avec une série de recours, vains. Au final, le Tribunal fédéral avait estimé en substance que «nous n’étions pas touchées de manière particulière», s’agace Mme Mahrer. Or, la Suisse, «un pays riche qui devrait être exemplaire et qui ne l’est pas», est «extrêmement impactée par le changement climatique, nos glaciers fondent», s’alarme l’ancienne députée écologiste.
Une commune française menacée par les eaux
L’autre dossier sera celui de l’ancien maire de Grande-Synthe (Nord), Damien Carême, devenu depuis député européen Europe Écologie-Les Verts (EELV). En 2019, il avait, en son nom propre et en tant que maire, saisi le Conseil d’État pour «inaction climatique», estimant que sa commune, située sur le littoral, était menacée de submersion.
La plus haute juridiction administrative avait donné raison en juillet 2021 à la commune, laissant neuf mois à la France pour «prendre toutes mesures utiles» afin d’infléchir «la courbe des émissions de gaz à effet de serre» pour être en accord avec les objectifs de l’Accord de Paris (-40% d’ici 2030 par rapport à 1990). La requête de M. Carême en son nom propre avait en revanche été rejetée et il avait saisi la CEDH.
L’eurodéputé soutient que la «carence» de la France à prendre les mesures nécessaires pour tenir les objectifs le touche «directement» puisqu’elle «augmente les risques que son domicile soit affecté» par la montée des eaux, indique la Cour dans un communiqué.
L’enjeu, «c’est de faire reconnaître la violation» de la Convention «du fait de l’exposition particulière de Grande-Synthe aux risques de submersion liés au changement climatique et, plus largement, faire reconnaître l’insuffisance du régime juridique en France pour limiter au maximum» les dommages encourus, analyse Théophile Bégel, avocat avec Corinne Lepage de M. Carême.
«L’enjeu est extrêmement important», a dit à l’AFP Me Lepage. «Si la Cour européenne reconnaissait que la carence climatique viole les droits des individus à la vie et à une vie familiale normale, cette jurisprudence s’appliquerait dans tous les États du Conseil de l’Europe et potentiellement dans tous les États du monde».
La CEDH examinera, sans doute après l’été, une autre affaire climatique d’ampleur, celle de jeunes Portugais qui ont assigné leur pays ainsi que 32 autres États pour leur inaction supposée contre le réchauffement.