La Chaux-de-FondsLa première villa du Corbusier devient un bien public
Pour 1,15 million, la Métropole horlogère est devenue propriétaire d’une maison d’exception, la Villa Fallet, dont les plans sont attribués à Charles-Edouard Jeanneret, alors étudiant en gravure.
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La Villa Fallet appartient désormais à la Ville.
lematin.ch/Vincent DonzéLe bois est sculpté, la pierre est taillée. Dans les fenêtres à croisillons, la ferronnerie des barrières, les toits en saillies, les tuiles disposées en alternance, tout respire le Style sapin, dans la Villa Fallet, acquise par la Ville de La Chaux-de-Fonds. Jeudi soir, c’est à l’unanimité, le Conseil général (Législatif) a validé cette acquisition pour le prix attrayant de 1,15 million de francs, même si certains élus auraient souhaité davantage d’informations sur le coût des rénovations prévues, selon la radio «RTN».
Les motifs du sapin et de la neige sont déclinés à l’extérieur comme à l’intérieur. Chaque détail est une déclinaison des motifs des paysages jurassiens. La Villa Fallet est perçue comme «une œuvre d’art totale».
Pas définie
La vente de cette villa de 1906 constitue pour la fratrie qui s’en sépare le dernier chapitre d’une histoire familiale heureuse. Bénéficiaire d’un droit de préemption, la Ville a négocié la Villa Fallet à 1,15 million, prix soumis jeudi dernier au Conseil général.
Ce chef-d’œuvre architectural et ornemental devient un bien public, mais son utilisation n’est pas encore définie. Des portes ouvertes devraient avoir lieu l’été prochain dans le cadre des célébrations du patrimoine UNESCO.
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Son usage public n’est pas encore déterminé.
lematin.ch/Vincent DonzéPour ce bien immobilier classé monument d’importance nationale, la Ville et le Canton disposaient d’un droit de préemption légal. «Cela signifie qu’à la suite d’une vente à un tiers, le notaire doit consulter ces deux entités publiques afin de savoir si elles veulent proposer la même somme et les mêmes conditions que l’acquéreur afin de devenir prioritairement propriétaire du bien», peut-on lire dans le rapport adressé au Conseil général.
Problème: cette procédure peut devenir un crève-cœur pour les acquéreurs annoncés. «Ceux-ci se sont projetés dans un bien, ont fait toutes les démarches auprès des banques notamment et ont signé un acte notarié pour, in fine, voir un acteur public se substituer à eux-mêmes par l’usage du droit de préemption légal», indique le rapport.
Plusieurs échanges
La Ville de La Chaux-de-Fonds a décidé de négocier avec les propriétaires plutôt que d’attendre d’utiliser son droit de préemption et de se faire imposer le prix d’acquisition. Plusieurs échanges ont eu lieu avec l’hoirie propriétaire de la villa pour aboutir au prix d’achat de 1’150’000 francs.
La Ville ne souhaite pas exploiter elle-même la Villa Fallet. Une association est en train de voir le jour. L’intention des autorités est de lui proposer un bail gratuit à long terme. Dans l’idéal, la villa deviendra un lieu mixte entre des espaces à visiter pour le public et des locaux mis à disposition d’artistes et d’artisans locaux, d’associations ou d’écoles.
Un peu (beaucoup) d’histoire chaux-de-fonnière:
«À l’aube du XXe siècle, La Chaux-de-Fonds est en pleine expansion, peut-on lire dans le rapport adressé au Conseil général. La ville gagne 10’000 habitants en 20 ans, passant de 27’000 en 1890 à 37’700 en 1910. On construit alors 50 à 70 maisons par année. Dans ce contexte favorable, la Ville réalise de nombreux aménagements donnant à la Métropole horlogère un visage résolument moderne: arrivée du gaz (1857), de l’eau courante (1887) puis de l’électricité et du tramway (1897)».
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Les ornements sont partout.
lematin.ch/Vincent Donzé«Plusieurs institutions importantes pour la vie culturelle locale voient aussi le jour comme le Bois du Petit-Château (1890), la Société de musique (1893), le Musée d’horlogerie (1902) ou la Théâtrale ouvrière (1904). Fondée en 1870, l’École d’arts appliqués engage en 1897 Charles L’Eplattenier comme professeur de dessin et de composition décorative. Elle est alors la troisième plus importante école d’art de Suisse, après celles de Genève et Zurich».
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Dans le crépi.
lematin.ch/Vincent Donzé«En professeur passionné et passionnant, Charles L’Eplattenier apprend à ses élèves à observer la nature régionale et à y trouver des motifs de base pour l’ornementation. Au contact de la nature des Montagnes neuchâteloises, il va élaborer une grammaire des formes, un vocabulaire ornemental régional: le «Style sapin».
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Dans le bois.
lematin.ch/Vincent Donzé«En automne 1905, il crée, pour ses meilleurs élèves, le Cours supérieur d’art et de décoration. Son ambition est de montrer que les arts décoratifs ne servent pas qu’à l’ornementation des boîtes de montres mais peuvent s’appliquer à de nombreux autres domaines comme la décoration de bâtiments, la bijouterie ou le mobilier».
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Dans la ferronnerie.
lematin.ch/Vincent Donzé«Louis-Édouard Fallet, graveur et bijoutier, membre de la Commission de l’École d’art et collaborateur de la Revue internationale de l’horlogerie, cherche à construire une maison dans ce que l’on appelle alors «la forêt de Pouillerel». Il confie cette mission aux élèves du Cours supérieur d’art et de décoration, sous la supervision de leur maître et de l’architecte René Chapallaz. Charles-Édouard Jeanneret, alors étudiant en gravure, se voit confier l’élaboration des plans».
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Dans la pierre.
lematin.ch/Vincent Donzé«C’est un véritable travail pratique collectif, témoin d’une pédagogie révolutionnaire qui permet à de jeunes artistes (architecte, sculpteur, décorateur…) en devenir d’exercer leur talent et savoir dans un projet à l’échelle 1/1».
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Dans le verre.
lematin.ch/Vincent Donzé«Louis Fallet meurt en 1916. Cinq ans plus tard, en 1921, le bien-fonds est acquis par la société anonyme «Villa la Montagne» par enchères forcées. Elle reste en mains de cette société jusqu’en 1928, puis repasse en mains privées, passant par cinq propriétaires différents jusqu’en 1978, lorsque la famille Sanroma acquiert la maison pour la vendre à la Ville en 2022»