Guerre en UkraineDans l’est de l’Ukraine, on se méfie des médias russes et ukrainiens
Dans la région, en proie aux combats depuis 2014, un fort sentiment de méfiance s’est développé envers la communication des deux camps. Les habitants s’informent sur Telegram, Instagram ou YouTube.
Lire un journal ? Quelle idée. Nina, 24 ans, est surprise quand on lui pose la question. Comme beaucoup dans l’est de l’Ukraine, elle suit la guerre sur Telegram et via des groupes en ligne informels. «Je ne vais pas m’assoir pour regarder la télé ou aller spécialement sur un site pour lire ce qu’il y a dessus», raconte Nina. Elle dit lire principalement deux chaînes Telegram en langue russe sur l’actualité locale, et suivre aussi des tchats privés où des habitants s’échangent des infos et des conseils. Les deux chaînes Telegram qu’elle mentionne, «Kramatorsk Typique» et «J’aime Kramatorsk», ont respectivement 107’000 et 57’000 abonnés.
Informations non vérifiées et non sourcées
Petro, 56 ans, est d’une autre génération mais il s’est aussi détourné des usages traditionnels: «Je regarde surtout YouTube». «Je pense que la télévision n’est plus pertinente», ajoute cet habitant de Kramatorsk. Dmytro, un serveur de 16 ans, s’informe lui aussi sur des chaînes Telegram couvrant l’actualité locale. «Je ne vois la vérité sur Kramatorsk qu’ici, je leur fais confiance.»
L’application Telegram est faiblement modérée. De nombreuses chaînes y publient des informations non vérifiées et non sourcées. La chaîne «J’aime Kramatorsk» diffuse des informations sur les tirs sur la ville ou des animaux perdus, mais aussi des messages avec des partis pris politiques. Lundi, elle a affirmé que la branche de l’Eglise orthodoxe ukrainienne qui s’est séparée du Patriarcat de Moscou était «un fake».
«Rien n’est noir ou blanc»
L’administrateur de la chaîne «J’aime Kramatorsk», qui se présente sous le prénom Nikita, a envoyé un long message à l’AFP pour expliquer sa position. «Des habitants de la ville m’aident, ils m’envoient du contenu, je ne fais que le publier», affirme-t-il, disant défendre «la liberté de parole et de démocratie» qui, selon lui, «n’existe pas en Ukraine». Il affirme aussi vouloir protéger les droits des «Russes ethniques» à Kramatorsk, dans une région très russophone où la promotion de la langue ukrainienne menée par Kiev est mal perçue par certains habitants.
«Rien n’est noir ou blanc. Rien n’est si simple. Et c’est pourquoi les gens me lisent», dit-il. «Je ne suis pas pour la division du pays et je ne soutiens pas ce que la Russie fait en Ukraine!», ajoute Nikita.
Bogdan Novak, journaliste à Kramatorsk pour le site Pro100, dit subir la défiance des habitants. «J’essaye de leur apporter des infos fiables, mais ils ne me croient pas», regrette cet homme de 33 ans qui est contraint d’avoir un deuxième travail pour survivre financièrement. Selon lui, les habitants se tournent aussi vers des formats courts et plus aisés à consulter sur Telegram ou les réseaux sociaux, car leurs besoins ont changé. «Ils ont un besoin d’informations d’urgence», note-t-il.
Après les bombardements, les gens veulent savoir où «il n’y a plus d’eau, plus d’électricité et à quel endroit l’aide humanitaire va être distribuée», explique Bogdan. «Et c’est tout. Ils n’ont pas besoin de plus d’infos.»