TrailCarnet de bord du nouveau forçat du Salève
Étienne Roux, un Genevois de 26 ans, a passé 24 heures à enchaîner les allers-retours sur l’abrupte sentier d’Orjobet. Il laisse derrière lui un record symbolique du parcours. Et un carnet d’aventure à retrouver ici.
- par
- F. V.
Entre dimanche et lundi, le sentier d’Orjobet en a vu défiler, du monde. Mais le chemin le plus apprécié pour rejoindre le Salève a surtout eu le temps d’apprendre à connaître Etienne Roux. Du parking jusqu’au panneau qui surplombe la grotte des lieux 550 mètres plus haut, ce traileur amateur genevois a enchaîné les allers-retours pendant 24 heures. Pour, de fil en aiguille, mener à cette inspirante histoire que raconte La Tribune de Genève ici.
Une voiture parquée à la base du sentier pour faire office de point de ravitaillement, une dizaine d’accompagnants qui se sont relayés même en pleine nuit, une pointe d’ego, une abnégation hallucinante: voilà comment Etienne Roux s’est glissé dans la peau du très symbolique détenteur du record du parcours. À 19h lundi, il avait non seulement tenu son pari en allant au bout des 24 heures, mais aussi porté son total d’allers-retours à 19, pour la modique somme de 10’000 m de dénivelé sur 75 km. Rien que ça. De quoi, sans doute, titiller la concurrence.
D’ici-là, le nouveau maître des lieux a laissé derrière lui un carnet de bord dans lequel il détaille son exploit. De ses joies à ses doutes. Des petits plaisirs à ceux, plus grands, de se sentir entouré.
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Aller-retour numéro 2: «Si les jambes peuvent rester comme elles sont, ce sera parfait. Mais… je dois avouer qu’en descente, c’est déjà compliqué.»
Numéro 4: «So far, so good. Mais va falloir ralentir le rythme. On est à quatre heures de course, j’ai pas envie d’exploser au dixième aller-retour.»
Numéro 5: «J’ai eu le droit à la petite blague de la lampe frontale qui s’éteint. C’est ce qui arrive quand on la met à la puissance maximale… Pas de panique, il y en a une deuxième. J’attaque la première montée tout seul. J’ai en même temps hâte et pas hâte du tout.»
Numéro 6: «Les pointages sont de plus en plus espacés. Je viens de voir apparaître avec grande stupeur Quentin, mon binôme des courses longues distances. Il est blessé et vient quand même m’accompagner… c’est beau! Je cours encore les descentes, mais je commence à avoir mal aux quadriceps. C’est maintenant qu’il faut commencer à être solide.»
Numéro 8: «Also es ist die achte! (Ndlr: Étienne entame un aller-retour seul, avec un livre audio d’allemand dans les oreilles.) Je commence à en chier un peu, mais je crois que je me répète.»
Numéro 9: «Ma copine et son père m’ont fait la surprise de me rejoindre pour le petit matin. Je suis vraiment très enthousiaste!»
Numéro 10: «Là, je peux commencer à dire que c’est vraiment compliqué. La fin de la descente, ça pique. J’avance plus très vite. J’ai la tête qui tourne en arrivant en bas. Je suis plus très lucide. Je peux être content que ça n’arrive que maintenant. Le jour est là, il fait splendide. Je vais envoyer une petite photo dans le groupe Whatsapp des accompagnateurs d’ailleurs, tiens. J’ai bon espoir de pouvoir continuer à ce rythme malgré tout.»
Numéro 11: «Onze! Et je viens d’avoir le geste le plus lucide depuis mon départ: vider mes chaussures. Après 13 heures de course, j’ai pu enlever une forêt entière. A priori, je devrais avoir le temps d’atteindre le record. Voire même de le battre.»
Numéro 12: «Je vais entamer la 13e et, ensuite, je pense arrêter… arrêter de douter! (Il se marre) J’ai mal partout, mais ça me semble normal. Je cours toujours. Par contre, l’Orjobet s’est transformé en autoroute. Pendant mes dix minutes de ravitaillement, j’ai dû voir 50 personnes défiler. Je suis tellement lent que personne ne se rend compte que je l’ai déjà fait 12 fois. Tant pis pour mon ego…»
Numéro 14: «J’ai l’impression que chaque montée/descente est la même. Je suis toujours dans les mêmes temps. Alors je reste optimiste. Surtout que des copains doivent me rejoindre pour la fin.»
Numéro 15: «15… 15… 15… 15… 15… 15… 15… 15…»
Numéro 16: «Je suis rincé, complètement rincé. Mais un de plus et j’égalise le record.»
Numéro 17: «La belle famille est arrivée avec le barbecue. Saucisses, Coca… J’ai pu profiter d’un apéro sympa!»
Numéro 18: «17h20, 9’500 de dénivelé. On a encore le temps d’en faire une dernière.»
Numéro 19: «Et. C’est. Fini! 10’015 de D+. Je suis super content… et passablement détruit. Je me réjouis de prendre un bon bain ou un jacuzzi. Par contre, j’ai vraiment pas hâte de m’en remettre.»