Tennis: Marc Rosset: «Contre quelle injustice l’ATP veut-elle lutter?»

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TennisMarc Rosset: «Contre quelle injustice l’ATP veut-elle lutter?»

L’ATP remplacera les juges de ligne par l’arbitrage électronique en 2025. Plus encore qu’avec la VAR, le gain en efficacité s’oppose à la perte d’un patrimoine culturel insoupçonné.

Mathieu Aeschmann
par
Mathieu Aeschmann
Novak Djokovic en grande discussion avec l’arbitre Aurélie Tourte au sujet d’une annonce d’un des juges de ligne, début avril à Monte-Carlo. Une scène qui n’existera bientôt plus dans le tennis.

Novak Djokovic en grande discussion avec l’arbitre Aurélie Tourte au sujet d’une annonce d’un des juges de ligne, début avril à Monte-Carlo. Une scène qui n’existera bientôt plus dans le tennis.

Reuters

L’histoire du tennis aurait-elle pris le même chemin sans le «you cannot be serious» de John McEnroe (Wimbledon 1981) et l’horrible annonce qui coûta ses nerfs et Roland-Garros à Martina Hingis en 1999? Poser la question, c’est se souvenir que l’arbitrage humain – ses doutes, ses erreurs, ses fourberies – a participé à construire le rapport que chaque joueur, chaque joueuse, entretient avec la compétition. Juger une balle, c’est un peu se dévoiler (en milieu amateur). Et subir une injustice, c’est éprouver sa force de résilience. Depuis 140 ans, l’arbitrage humain est donc constitutif du jeu de tennis. Une phrase qu’il faudra pourtant bientôt écrire au passé.

L’Association des Tennismen Professionnels (ATP) a en effet annoncé vendredi qu’il généraliserait l’arbitrage électronique dès la saison 2025. Finis les juges de ligne, l’overrule ou le challenge. À l’image de ce qu’il se passe déjà dans certains tournois sur dur, le processus sera entièrement numérisé, afin de gagner «en précision et en constance» dans le jugement. «La tradition est au coeur du tennis et les juges de ligne ont joué un rôle important dans le jeu, insiste Andrea Gaudenzi, le boss de l’ATP. Cela dit, nous avons la responsabilité d’adopter l’innovation et les nouvelles technologies. Notre sport mérite la forme la plus précise d’arbitrage.» Soit. Mais la précision est-elle le seul enjeu de cette réforme?

Une victoire contre l’injustice?

C’est l’argument de l’ATP et il est difficilement contestable. Même si les systèmes actuels ne sont pas fiables au millimètre près, le Electronic Line Calling Live (ELC Live) sera forcément plus performant qu’un œil humain sur la durée. «Mais y avait-il vraiment des injustices à corriger dans le tennis actuel?» s’interroge Marc Rosset. Le champion olympique de 1992 a connu une époque où l’arbitrage pouvait être pris en otage et des matches filer entre les doigts injustement. «Quand les juges de ligne se faisaient engueuler cinq fois de suite par Connors ou McEnroe, à la sixième balle limite, ils n’osaient plus dire out. C’était un jeu.» Un jeu qui souriait aux puissants et pouvait nourrir des frustrations.

«Mais depuis l’instauration du challenge, au milieu des années 2000, je n’ai pas le souvenir d’un match décidé injustement à cause d’une erreur d’arbitrage. Donc oui, il y aura un gain en constance. Mais contre quelle injustice l’ATP veut-elle lutter?»

Un coup porté au spectacle

Si Marc Rosset relativise la question de l’injustice, il tranche définitivement celle de l’impact sur le spectacle. «Cette décision marque la disparition du challenge et c’est ce qui m’ennuie le plus. Selon moi, le challenge était la meilleure invention de l’histoire du tennis. L’incertitude est levée, sans perte de temps et en ajoutant cette touche d’excitation qui plait tant au public. Même au commentaire, j’adore les challenges. C’est fabuleux.»

Une belle invention qui sera donc débordée par sa propre technologie; puisque c’est la faculté par la machine à juger désormais l’impact en temps réel qui rend le recours au challenge désuet. «En plus, on a constaté à l’US Open que ces courts vidés des juges de lignes et les voix préenregistrées donnaient à l’ensemble une dimension très impersonnelle. Je ne suis absolument pas contre les évolutions technologiques mais je trouve qu’elles devraient toujours réfléchir à la place que doit y conserver l’humain.»

Et le lien avec la base?

Alors justement, que vont devenir les juges de ligne, ces bénévoles qui posent une semaine de congé pour venir fixer une ligne et partager, durant quelques jours, la réalité des meilleurs joueurs du monde? «Je pense par exemple à ceux qui viennent au Geneva Open. Ce sont des passionnés, soupire Marc Rosset. C’est quoi la prochaine étape, on enlève les ramasseurs de balle? Mais tous les meilleurs joueurs du monde ont un jour été ramasseurs. Peut-être que l’évolution est bonne pour le tennis, peut-être que les nouvelles générations trouvent ça logique. Moi, j’ai l’impression que ce sera différent. À titre personnel, je ne le reçois pas comme une bonne nouvelle.»

Un sentiment partagé par Jonas Svensson. Le Suédois, double demi-finaliste à Roland-Garros (1988, 1990) et cofondateur de JoTo Tennis à Chavannes-de-Bogis, nous avait même parlé spontanément de cette thématique, en février, lors d’un échange pour Le Matin Dimanche. «Quand il remplace les juges de ligne par la machine, un tournoi brise le rêve de centaines de bénévoles. Tu perds du lien, du vécu et, par rebond, des passionnés. Je pense que le calcul est faux. Quand on organise des tournois, nos jeunes sont tous ravis de monter sur la chaise d’arbitre. De là-haut, ils se rendent compte que l’on ne s’ennuie jamais en regardant un match au bord du court, au plus près des émotions.» Celles-là mêmes qui risquent de s’évanouir à force remplacer l’humain par la machine.

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