Justice françaiseUn an de prison avec sursis requis contre Éric Dupond-Moretti
Accusé de «prise illégale d’intérêts», le ministre français de la Justice est jugé depuis dix jours. Le procureur n’a pas fait mention d’une interdiction d’exercer une fonction publique.
L’accusation a requis, mercredi, une peine «juste et significative» d’un an de prison avec sursis contre le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti, «coupable» de prise illégale d’intérêts, de «façon nette et tranchée». «Votre décision est importante et attendue», a dit aux juges de la Cour de justice de la République (CJR) le procureur général de la Cour de cassation, Rémy Heitz, qui porte l’accusation au procès.
«Ce n’est pas n’importe quel ministre prévenu devant vous, c’est le gardien du droit, qui doit veiller plus que tout autre au respect des standards éthiques» et «de l’indépendance de la justice», a-t-il continué, notant que le conflit d’intérêts reproché au ministre «sautait aux yeux», malgré le «déni persistant». «Je ne vous demande pas de faire un exemple, je vous demande d’appliquer la loi. Votre décision rappellera solennellement la frontière entre ce qui est admis et ce qui ne l’est pas.»
Rémy Heitz n’a pas fait mention d’une éventuelle peine complémentaire d’interdiction d’exercer une fonction publique. Sur la peine complémentaire d’inéligibilité, normalement «obligatoire» en cas de condamnation, il s’en est remis «à la sagesse» de la Cour, en précisant qu’elle pouvait l’en dispenser.
Il a pu tourner le dos à la défense
Il avait commencé par s’attarder sur le caractère exceptionnel de ce procès: «Jamais, en prêtant mon serment de magistrat, il y a plus de 35 ans, je n’aurais imaginé devoir un jour tenir le siège du Ministère public dans un procès mettant en cause le garde des Sceaux (autre nom donné à la fonction de ministre de la Justice).»
«Cela ne fait plaisir à personne», a assuré le haut magistrat, qui a demandé, exceptionnellement, à pouvoir «tourner le dos» à la défense en requérant à la barre plutôt que depuis sa place, d’où il ne «voit pas» une partie des juges – trois magistrats professionnels et douze parlementaires.
Face à eux, d’un ton sobre mais en ponctuant ses propos de coups de stylo dans l’air, Rémy Heitz a d’emblée assuré que cette procédure n’est pas le résultat d’une «vengeance» de magistrats, qui n’auraient jamais accepté la nomination surprise, en juillet 2020, de l’ex avocat vedette, notoirement peu tendre avec la magistrature.
Soupçonné d’avoir réglé ses comptes avec des magistrats
Il est soupçonné d’avoir usé de ses fonctions pour régler des comptes avec des magistrats qu’il avait critiqués quand il était avocat. La première affaire concerne trois magistrats du Parquet national financier (PNF), qui avaient fait éplucher les factures téléphoniques d’Éric Dupond-Moretti quand il était avocat dans le dossier de corruption dit «Bismuth», lié à l’ancien président Nicolas Sarkozy.
La seconde affaire concerne un ancien juge d’instruction, auquel il avait imputé des méthodes de «cow-boy» et contre qui il avait porté plainte, au nom d’un client, pour violation du secret de l’instruction. Dans les deux cas, l’avocat devenu ministre avait ouvert une enquête administrative contre ces magistrats.
Il y avait «un aiguillage à actionner» mais, malgré les «clignotants orange, rouge», le ministre et son entourage sont restés dans «un déni permanent». Et «le train est parti dans la mauvaise direction», accuse Rémy Heitz. À sa décharge, Éric Dupond-Moretti, à l’époque novice en politique, a été «clairement» mal «conseillé» et mal «protégé», a-t-il souligné.
La défense d’Eric Dupond-Moretti plaidera jeudi matin.