FranceÀ Grasse, la récolte du jasmin bat son plein pour les cent ans de Chanel N° 5
Dans le sud de la France, des femmes ramassent actuellement à la main la délicate fleur de jasmin qui entre dans la composition du mythique parfum.
La cueillette du jasmin bat son plein en France près de Grasse, entre Alpes et Méditerranée, pour le parfum Chanel le plus vendu au monde, le mythique N° 5, qui fête ses 100 ans cette année.
Cultivée désormais sur moins d’une douzaine d’exploitations autour de cette ville, berceau historique de la parfumerie, la petite fleur blanche – «Jasminum Grandiflorum» pour les botanistes – éclôt la nuit et se ramasse le matin.
Un labeur éprouvant effectué à 90% par des femmes, courbées ou accroupies sous le soleil entre les rangées d’arbustes, exclusivement à la main et d’un geste répété des milliers et des milliers de fois puisqu’il faut 8000 à 10’000 fleurs pour faire un kilo à la pesée en fin de matinée.
«Le jasmin, c’est plus délicat, plus long», avoue Colette Mul, 50 ans, dont la famille cultive des plantes à parfum depuis 1840, en exclusivité pour la maison Chanel depuis 1987, sur 20 hectares en passe de s’agrandir.
La récolte de jasmin s’étale de juillet à octobre et le noyau dur des saisonniers, 40 à 45 personnes, «revient chaque année», dit-elle, complété par des familles bulgares pour qui la rémunération est attractive, avec un salaire minimum français valant quatre fois celui en cours dans leur pays, plus des primes de rendement.
Si légère qu’on ne la sent pas
«C’est de la patience, de la dextérité, de la souplesse», complète le mari de Colette, Fabrice, 56 ans. La fleur, dit-il, est si légère: «Tenez, mettez-la dans la main, vous ne la sentez même pas.»
Il caresse un arbuste de la main: «On peut voir tous les stades de maturité des boutons. Les bourgeons sont rouges, ils éclosent blancs. Ceux qu’on va cueillir dans quinze jours ne sont pas encore formés.»
Sous ses pieds, l’irrigation souterraine au goutte-à-goutte permet une économie d’eau de 20%. Au loin, se dessine le massif du Tanneron où des plantations d’eucalyptus peignent un somptueux camaïeu de verts.
L’usine est à la sortie de la propriété, avec ses cuves en inox où les centaines de molécules composant l’odeur du jasmin sont extraites en plongeant les fleurs, sans les tasser, dans des bains successifs d’isohexane, un solvant chimique non cancérogène pour ceux qui le manipulent et qui a remplacé l’hexane il y a trois ans.
Savoir-faire classés au patrimoine mondial
Si Grasse a préservé ses savoir-faire, classés depuis 2018 au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco, sa production annuelle de jasmin, en perdition dans les années 1980, se limite à 13 tonnes, la majeure partie produite par Mul pour Chanel.
Le jasmin de Grasse reste cependant «probablement l’ingrédient le plus important du N° 5», affirme Olivier Polge, le «nez» de Chanel.
Il «nous a donné énormément de travail car il a été un peu en danger», ajoute le parfumeur qui ne l’utilise que dans l’extrait de N° 5, à savoir «la formule la plus concentrée, la plus haut de gamme et qui est l’identité du parfum», mais pas dans l’eau de toilette.
Né en 1921 et novateur avec sa grammaire olfactive abstraite de 80 ingrédients, ne rappelant aucune fleur en particulier, le N° 5 est le best-seller de Chanel, aux côtés des deux créations récentes, Coco Mademoiselle et Chance.
Premier parfum couturier
«Ça a été le premier parfum couturier avec cette idée de Gabrielle Chanel que le parfum pouvait être l’expression de son style», reprend Olivier Polge.
À l’époque, le jasmin tapissait la campagne de Grasse qui comptait assez de bras prêts à se louer pour cette cueillette devenue l’apanage de pays à bas coût de main-d’œuvre. L’Égypte et l’Inde, où Chanel se fournit aussi, assurent aujourd’hui 95% du tonnage mondial.
Sur le nombre de flacons vendus, le prix payé au kilo, «on est peu loquace», confesse la directrice du service de presse de Chanel, Sophie Verges.
Plusieurs fois par an, elle entraîne des journalistes du monde entier, quelques influenceurs aussi parfois, dans ce décor champêtre où Chanel peut se vanter de tout faire sur place, de la fleur au flacon d’absolu.
«Dix minutes après la pesée, c’est chargé dans l’extracteur ce qui évite une oxydation et une perte de matière odorante, dit Sophie Verges, ça permet aussi à notre parfumeur d’intervenir, un peu comme un peintre qui produirait sa propre palette de couleurs».