CinémaOn a vu Bruce Willis dans son ultime rôle
À l’occasion de la sortie directement en vidéo du tout dernier film de la star, «Assassin», retour sur la fin de sa carrière et les fascinantes coulisses de ses 36 derniers nanars.
- par
- Christophe Pinol
On savait la chose imminente et nous voilà aujourd’hui au pied du mur: «Assassin», l’ultime film de Bruce Willis, 68 ans, qui annonçait-il y a pile un an mettre un terme à sa carrière pour raisons médicales, vient de sortir en vidéo aux États-Unis. Il faudra attendre encore quelques semaines avant de le voir apparaître sur les plateformes de streaming de ce côté de l’Atlantique mais la messe est désormais dite: on ne reverra plus la star d’«Armageddon» dans un nouveau film.
On a tous encore en mémoire la saga «Piège de cristal», «Pulp Fiction», «L’armée de 12 singes» et tant d’autres perles, mais Bruce Willis, c’est aussi les obscurs «Survive the Night», «Breach», «Detective Knight», «Apex» et 32 autres DTV (Direct To Video) tournés ces 10 dernières années. Dont une vingtaine sortis entre 2021 et 2022!
Le chant du cygne
Signé d’un certain Jesse Atlas, «Assassin» est donc le dernier d’une longue liste de films fauchés (au pire, d’infâmes nanars; au mieux, des thrillers parfaitement oubliables) et met un terme à une carrière fructueuse qui a fait de lui, un temps au moins, la plus grosse star du cinéma d’action de la planète. Dans ce thriller de SF, le comédien incarne le chef d’une escouade de l’armée utilisant une technologie dernier cri permettant de prendre possession d’un corps à distance et d’approcher ainsi de méchants terroristes pour les éliminer. Ce n’est de loin pas le pire de cette série de DTV, juste un mauvais film, au concept mal dégrossi, sans imagination, mais dont la dernière scène de Bruce Willis résonne forcément d’une funeste façon. On n’en est qu’au deuxième tiers du film lorsque son personnage (on vous passe les détails, mais attention aux spoilers) demande à l’héroïne de lui régler son sort d’une balle dans la tête. Il ferme les yeux, baisse la tête… et à l’exception d’une minuscule apparition fantomatique à la fin du film, c’en est fini de sa carrière au cinéma. Une sortie par la petite porte, forcément tristounette pour un acteur qui nous a tant fait rêver, rire et frissonner.
Il y a un peu plus d’un an, en voyant sortir ses films à un rythme frénétique, tout le monde se gaussait encore de lui en se demandant comment il avait pu atterrir si bas. Les Razzie Awards (les Oscars du pire) avaient même créé une catégorie spéciale («Les pires performances de Bruce Willis dans un film de 2021») en décernant le prix à «Cosmic Sin». Et puis quelques jours plus tard, le 30 mars 2022, la nouvelle tombait sur le compte Instagram de Rumer Willis, expliquant que son papa souffrait d’une aphasie qui affecte ses capacités cognitives et qu’il mettait un terme à sa carrière. À la lumière de cette révélation, l’organisation des Razzie lui avait alors retiré son trophée, estimant qu’il n’était plus approprié de se moquer de l’acteur.
La recette EFO
Le post Instagram nous avait alors soudainement fait réaliser ce qui avait poussé le comédien à enchaîner ces productions: sachant qu’il lui restait peu de temps avant de tirer sa révérence, il avait tout fait pour mettre un maximum d’argent de côté. D’une part pour assurer les frais de ses traitements, mais aussi pour placer les siens à l’abri du besoin: sa femme, Emma Heming Willis; leurs filles, Mabel et Evelyn; ainsi que les enfants qu’il a eus avec Demi Moore, Rumer, Scott et Tallulah.
En majeure partie, ces DTV sont des productions EFO, société qui avait développé une recette dès le début des années 2010: payer à prix d’or d’anciennes gloires du cinéma d’action pour tourner de petits films directement destinés au marché de la vidéo, vendus sur le seul nom de vedettes dont le temps de présence à l’écran est limité au minimum syndical. Un système si efficace qu’il séduit Nicolas Cage, Jason Statham, Sylvester Stallone et autres Wesley Snipes. Même Robert De Niro s’est laissé prendre au jeu. Mais aucun autre que le héros du «Cinquième élément» n’en a autant enchaîné.
Il faut préciser que la production se pliait en 4 pour faciliter le travail de Bruce Willis. Son planning était d’abord arrangé pour lui permettre de boucler ses scènes généralement en 2 jours (au tarif d’un million de dollars la journée), parfois même en un après-midi. À côté de ça, des doublures tournaient un maximum de scènes le visage plus ou moins habilement masqué (par des branchages, un autre comédien, filmé de dos…) afin de maximiser la présence de la star à l’écran.
Au final, la formule d’un «Bruce Willis Movie» est simple: l’acteur est en général présent dès le début du film, son personnage disparaît ensuite sous un prétexte quelconque durant le deuxième tiers et revient faire un clin d’œil à la fin. Au total, jamais plus de 12 minutes de présence à l’écran. 7 dans «Hard Kill», 9 dans «Extraction», s’était amusé à comptabiliser le magazine «Vulture». Et surtout, on ne lui demande pas grand-chose: un sourire narquois ici, un froncement de sourcil intrigué là, le tout en limitant au maximum ses mouvements (dans «Hard Kill», il passe même la majeure partie du film attaché à une chaise)…
«Qu’est-ce que je fais là?»
Mais ce qui avait poussé Rumer Willis à annoncer la maladie de son père, ce 30 mars 2022, c’est la publication, le jour même, d’une enquête du «Los Angeles Times» sur les dessous de ces productions. On y trouvait notamment la teneur des contrats de la star, qui stipulaient qu’il n’aurait pas à jouer de monologue mais uniquement des répliques courtes soufflées dans une oreillette par un collaborateur, qu’il ne participerait pas aux cascades, que ses scènes seraient tournées à Los Angeles, à côté de chez lui…
L’article mettait surtout en lumière l’ambiance morose du tournage de ses derniers films, comme le racontait un collaborateur anonyme: «Un jour, sur le plateau de «White Elephant», Bruce Willis s’écrie en pointant son doigt sur l’équipe technique: «Toi, je sais pourquoi tu es là. Toi aussi. Mais moi, qu’est-ce que je fais là?». Il était complètement perdu. Quelqu’un lui donnait une réplique à dire et il ne comprenait même pas ce que ça signifiait. Il était manipulé comme un pantin». Le réalisateur du film en question, Jesse V. Johnson, avait alors prévenu la production qu’il ne tournerait pas d’autre long métrage avec l’acteur: «On est tous fans de lui et on avait l’impression qu’il faisait ces films pour de mauvaises raisons. Ça nous avait mis mal à l’aise». Sur le plateau de «Hard Kill», certains ont même fait état d’une scène où le comédien devait à un moment donné tirer un coup de feu, mais qu’il le faisait systématiquement trop tôt, effrayant toute l’équipe… Il était peut-être temps d’arrêter les frais.
Les premiers signes
Pourtant, les signes avant-coureurs étaient là. En 2015, Bruce Willis commence le tournage de «Café Society», de Woody Allen. Mais quelques jours plus tard, le voilà viré sous prétexte qu’il est incapable de se souvenir de son texte. Un an plus tôt, même son pote Sylvester Stallone l’avait crucifié d’un tweet assassin en l’accusant d’être «paresseux et trop gourmand», pour expliquer pourquoi la star ne faisait finalement pas partie d’«Expendables 3». Plus récemment, pour le site Page Six, une autre source anonyme faisait part de ses souvenirs du tournage de «Glass», de M. Night Shyamalan, la suite d’«Incassable», en 2017: «Bruce semblait parfois un peu confus et avait besoin d’aide pour ses répliques. Il paraissait en retrait… À l’époque, on s’était simplement dit qu’il vieillissait, ou qu’il était ivre. Des erreurs courantes quand les gens constatent les premiers signes de démence chez quelqu’un…». Mais tout ça est donc maintenant derrière lui. Il y a deux semaines, Demi Moore publiait une émouvante vidéo de l’anniversaire de son ex en famille…
Et on a envie de laisser le mot de la fin au réalisateur M. Night Shyamalan, qui l’a dirigé dans 4 films, et qui avait publié le message suivant à l’époque de l’annonce de sa maladie: «Tout mon amour et mon respect à mon grand frère Bruce Willis. Je sais que sa merveilleuse famille lui apporte du soutien et de la force. Il restera toujours pour moi le héros sur ce poster affiché au mur de ma chambre quand j’étais enfant».