Guerre en Ukraine«Seul un fou n’aurait pas peur dans ces conditions»
Enjeu de la plus longue bataille depuis l’invasion russe, Bakhmout, dans l’est de l’Ukraine, a vu sa population divisée par dix. Parmi ceux qui sont restés, malgré les bombes, beaucoup sont âgés.
![Pour aller chercher de l’eau ou des sacs de bois, les derniers habitants de Bakhmout doivent prendre d’énormes risques. Pour aller chercher de l’eau ou des sacs de bois, les derniers habitants de Bakhmout doivent prendre d’énormes risques.](https://media.lematin.ch/4/image/2023/11/08/dbcfc5ee-9a20-466b-af7a-b4188b1f0fa4.jpeg?auto=format%2Ccompress%2Cenhance&fit=max&w=1200&h=1200&rect=0%2C0%2C2048%2C1366&fp-x=0.5&fp-y=0.5&s=e1c9d3321b58be0b27b729d8ae8f62e0)
Pour aller chercher de l’eau ou des sacs de bois, les derniers habitants de Bakhmout doivent prendre d’énormes risques.
AFPLes derniers habitants restés à Bakhmout, ville de l’est de l’Ukraine, pilonnée depuis l’été par l’armée russe, assurent qu’ils ne comptent pas s’enfuir, même si les Russes se rapprochent. «Comment pourrais-je partir?» interroge Natalia Chevtchenko, 75 ans, inquiète des coûts trop élevés d’un départ.
Elle a passé tellement de temps à s’abriter dans sa cave qu’elle se sent «comme une taupe» lorsqu’elle s’aventure dehors, dans la lumière, clignant des yeux. «Ne vous inquiétez pas», assure-t-elle à l’AFP malgré le sifflement des obus à l’arrière-plan. «Ils sont loin. Je sais à présent où ils vont tomber.»
Les forces russes tentent depuis des mois de prendre le contrôle de Bakhmout, la plus longue et la plus sanglante des batailles menées depuis l’invasion russe, lancée le 24 février dernier. Malgré l’afflux d’armes occidentales envoyées à l’Ukraine, la Russie a revendiqué ces derniers jours des avancées dans la région.
De 75’000 à près de 7000 habitants
Bakhmout, qui comptait avant la guerre 75’000 habitants, s’est transformée en ville fantôme parsemée de défenses antichars et de voitures brûlées. Il n’y a plus de gaz, ni d’électricité ou d’eau courante. Sept mille personnes environ, âgées pour la plupart, y vivent encore malgré le roulement continu des échanges d’artillerie, les tirs et le bourdonnement des drones. Un garçon de 12 ans et un septuagénaire ont été tués mardi.
Lors d’une visite à Bakhmout, mercredi, une équipe de l’AFP a pu voir de la fumée arrivant depuis la partie nord de la ville. La neige est tachée de sang là où un véhicule militaire ukrainien a été ciblé, la veille, par une frappe russe, dans l’ouest de la ville. Un morceau de ce qui ressemble à de la chair humaine repose près de verre brisé.
À l’extérieur de la ville, des soldats ukrainiens s’emploient à fortifier leurs positions. La rivière qui la traverse est devenue une ligne de partage clé pour les combats. Natalia Chevtchenko, qui habite sur la rive est, risque chaque jour sa vie en traversant le pont pour aller chercher de l’eau.
Avec l’électricité, «tout serait plus facile»
Ceux qui le pouvaient sont partis, mais d’autres, comme la vieille dame, semblent résignés. «Le gaz, ce n’est pas si grave. Si on avait l’électricité, tout serait plus facile», explique-t-elle. «On pourrait se chauffer, cuisiner. Le pire, c’est qu’il n’y a pas de réseau. Je ne peux pas appeler ma famille. J’ai deux enfants, l’un est à Kiev et l’autre à Odessa. Leurs enfants sont petits, c’est pour cela qu’ils ont dû partir.»
Nadia Bourdinska, 66 ans, elle, a vécu à Bakhmout toute sa vie et n’a aucune intention de partir, même si «seul un fou n’aurait pas peur» dans ces conditions. «Tout est possible, si Dieu le veut je resterai vivante», lance-t-elle devant son immeuble construit à l’époque soviétique en tirant des sacs de bois. Pour se réchauffer, elle a dû acheter un poêle payé 3500 hryvnias (environ 87 francs) et demander aux autorités de lui fournir de la nourriture bon marché: «C’est comme ça qu’on vit au XXIe siècle…».