Télé-réalitéDe petits japonais livrés à eux-mêmes devant les caméras
L’un des classiques de la télé nippone débarque sur Netflix. «Comme des grands» suit des bambins sortants seuls de chez eux pour la première fois. Drôle et attendrissant!
- par
- Christophe Pinol
Le principe de la nouvelle pépite de Netflix, «Comme des grands», une émission de télé-réalité japonaise, est d’une simplicité enfantine: des bambins (entre 2 et 5 ans) effectuent devant les caméras une petite mission pour leurs parents: faire des courses dans un magasin, apporter un objet à quelqu’un ou en récupérer un autre oublié quelque part.
En 10 ou 15 minutes, le temps d’un épisode, on voit alors les enfants enchaîner les mini-exploits: demander de l’aide quand ils sont perdus, dénicher dans les rayons le produit qu’ils sont venus acheter, payer à la caisse… Car pour eux, il s’agit de leur baptême de sortie en solo, hors de la maison familiale. La première fois qu’ils s’adressent par eux-mêmes à des inconnus, qu’ils effectuent le trajet en question (parfois long de plus d’un kilomètre) ou qu’ils manipulent de l’argent.
Alors certains trébuchent en chemin (au propre comme au figuré), oublient tout à coup une partie de leurs objectifs, éclatent en sanglot face aux difficultés rencontrées, mais tous finissent par revenir le regard empreint d’une grande fierté, heureux d’avoir accompli pour la première fois de leur vie une tâche si importante.
Une émission trentenaire
En réalité, l’émission n’est pas nouvelle pour un sou. Il s’agit même d’un classique de la télévision nipponne, l‘une des plus vieilles toujours en activité. Le show, «Hajimete no otsukai» (littéralement, «Mes premières commissions»), a été diffusé de manière hebdomadaire de 1991 à 1994, et est depuis programmé ponctuellement dans des émissions événementielles de 2 ou 3 heures, deux fois par an, enregistrées face à un public où toute une série de guest stars sont invitées à commenter les séquences. La version Netflix est toutefois un remontage exclusivement focalisé sur l’enfant et sa mission à accomplir mais cela explique pourquoi on entend parfois les exclamations d’un public durant les séquences.
Alors on l’avoue, on a d’abord regardé le premier épisode avec une curiosité toute relative. Mais au bout du 3e déjà, on était accro. D’abord parce que les séquences sont aussi drôles qu’émouvantes – on vous met au défi de ne pas verser votre larme, un épisode sur deux – et que le show se veut aussi un joli petit tour d’horizon du pays. Les Japonais sont friands des particularités de leurs différentes régions et on voyage ainsi à travers tout l’archipel, entre un petit village de montagne ou de bord de mer et un quartier typique de Tokyo. Le tout en entrant brièvement dans le quotidien de tenanciers de petites boutiques, ici d’un magasin de kimono, là d’un restaurant de sushis ou d’un ramen shop.
Des parents investis
Après, on sera en droit de se demander si les parents n’en font parfois pas un peu trop pour pousser leur rejeton à aller au bout de leur challenge. Car si beaucoup d’émissions sont tournées à travers le pays, la production ne sélectionne que les meilleures, celles où le/la jeune héros/héroïne parvient à se dépasser. Ainsi, dans l’un des épisodes, le petit Ao, deux ans et dix mois, se retrouve sur le pas de la porte de sa maison, prêt à aller porter le tablier de son papa – chef sushi – chez le teinturier et en ramener un propre. Sauf que soudain, paralysé par la peur, il ne veut plus bouger et fond en larmes. «Mais papa ne va pas pouvoir travailler sans son tablier propre, lui serine sa mère. Tu veux qu’on ferme le restaurant aujourd’hui?». Finalement, Ao s’en ira gaiement accomplir sa mission, maman l’ayant convaincu à l‘aide d’un bonbon. Mais en coulisses, papa avoue à l‘équipe avoir le cœur brisé de laisser son petit se débrouiller seul et doit faire face aux remontrances de son épouse qui l‘accuse d’être «toujours trop gentil avec lui!»
Car le but du programme est aussi de favoriser l‘autonomie des enfants, dans une société où ceux-ci sont habitués dès leur plus jeune âge à se débrouiller seuls, à faire le ménage et la cuisine. Cette idée des «premières courses en solo» est d’ailleurs une vraie tradition au Japon, hors caméras. Une espèce de rite de passage où persévérance et bravoure des tout-petits sont les maîtres mots. C’est aussi une manière de commencer à travailler très tôt sur l’estime de soi tout en permettant aux enfants d’en ressortir la tête haute.
Des caméras partout
On est aussi un peu anxieux quand la petite Yuka, 3 ans et deux mois, s’apprête à traverser une route à 4 voies pour aller faire ses courses au marché aux poissons. Mais il faut le souligner: les enfants sont en réalité soigneusement surveillés par toute l’équipe de tournage. Les nombreux caméramans et assistants, tous déguisés en passants lambda, postiers, pécheurs, ouvriers ou autres pour tromper la vigilance des enfants, sont d’ailleurs parfaitement identifiables dans les séquences. Surtout lorsqu’ils se retrouvent à cavaler après les bambins quand ceux-ci décident d’accomplir leur mission au pas de course.
La plupart du temps, les enfants n’y voient donc que du feu, même avec des caméras très sommairement cachées. «D’après notre expérience, on peut filmer les petits jusqu’à 5 ans et trois mois sans qu’ils comprennent qu’il s’agit d’une émission de télé», explique l’un des commentateurs au cours d’une séquence. L’hilarant duo formé par Ryuta et Soichiro, deux garçons de 4 ans et demi en plein cœur de Tokyo, ont d’ailleurs beau repérer la plupart des caméras sur leur passage, ils ne se douteront pas une seconde être les héros d’une émission.
Une émission minutieusement préparée
Celle-ci est également savamment préparée en amont. Si les parents proposent dans un premier temps aux producteurs la mission qu’ils souhaitent confier à leur enfant, l’itinéraire est ensuite examiné avec attention par l’équipe qui visite les lieux en vérifiant les aspects de sécurité, notamment vis-à-vis du trafic routier. Les voisins et commerçants de la zone sont aussi prévenus au cas où les enfants viendraient leur demander de l‘aide. Et puis si ce genre d’action est possible au Japon, c’est aussi parce que la criminalité y est assez faible selon les normes occidentales. Ou y était, selon certains.
Car aujourd’hui, des voix s’élèvent – à l‘étranger mais aussi au Japon – pour accuser le programme de dépeindre une vision erronée de la société nippone, laissant entendre que la criminalité y serait moins importante que ce qu’elle n’est en réalité, et que le programme ne serait donc plus vraiment adapté aux normes sociales du pays. «Aujourd’hui, les parents ne tiennent plus la sécurité publique pour acquise», expliquait dans un récent article du New York Times, justement à propos du succès de l‘émission, le professeur Toshiyuki Shiomi, expert en développement de l’enfant.
Après, peut-être faut-il juste garder à l’esprit que «Comme des grands» est avant tout une émission de télévision qui cherche à divertir, et non un documentaire sociologique chargé de dresser un minutieux portrait de la société japonaise. Ça reste de la télé-réalité.