IrakL’Irak s’enfonce dans la crise politique et aucune issue n’est en vue
La formation du gouvernement est en stand by, depuis huit mois, et des députés ont décidé de démissionner en bloc. La situation risque de s’enflammer dans les rues.
Moqtada Sadr, pilier de la politique irakienne, est un habitué des coups politiques destinés à faire pression sur ses adversaires. Fort de 73 députés, son courant, le plus important au Parlement, depuis les législatives du mois d’octobre 2021, a démissionné en bloc, dimanche soir. Il était arrivé en tête après le scrutin, mais les tractations avec les autres acteurs politiques pour former un nouveau gouvernement et désigner un nouveau Premier ministre n’ont pas abouti pour le moment.
D’où l’ire de Moqtada Sadr, qui entend bien continuer à jouer les faiseurs de roi en formant un cabinet «majoritaire» qui repousserait ses adversaires chiites pro-Iran du Cadre de coordination dans l’opposition. Ces derniers veulent, eux, poursuivre la tradition du «gouvernement de consensus» dans lequel toutes les forces chiites gouvernent.
Selon le président du Parlement, l’influent Mohammed al-Halboussi qui s’exprimait lundi depuis Amman, les démissions sont déjà effectives et «ne nécessitent pas» de vote en plénière pour être entérinées, contrairement à ce qu’avancent des analystes consultés par l’AFP. A la place des élus sadristes, siègeront les candidats arrivés deuxièmes, lors des élections d’octobre 2021, a poursuivi M. Halboussi. Et ces responsables politiques proviennent d’horizons politiques très divers, ce qui va mécaniquement rebattre les cartes dans l’hémicycle.
De nouvelles élections sont envisageables, mais pour ce faire, il revient au Parlement lui-même de s’auto-dissoudre.
Un gouvernement sans Moqtada Sadr?
Depuis la chute du dictateur Saddam Hussein en 2003, Moqtada Sadr a réussi à se hisser au rang de personnalité incontournable de la scène politique irakienne. Farouchement anti-américain après l’invasion emmenée par Washington, Moqtada Sadr entretient aujourd’hui une relation compliquée avec l’Iran, le grand voisin dont est proche le Cadre de coordination et dont une bonne partie des Irakiens rejettent la mainmise sur le pays.
Moqtada Sadr n’a pas l’intention de revêtir les habits de Premier ministre, poste bien trop exposé, et préfère jouer les faiseurs de roi. Un temps pressenti comme candidat au poste de chef du gouvernement, son cousin Jaafar al-Sadr, actuel ambassadeur d’Irak à Londres, a dit dimanche, renoncer à toute velléité. Mais le politologue irakien Ihsan al-Shammari voit «difficilement» comment les députés des autres partis pourront former un gouvernement sans Moqtada Sadr. Et, si un tel gouvernement voyait le jour, «il tomberait rapidement».
Pour l’analyste politique Hamzeh Hadad, «nous verrons avec le temps si Moqtada Sadr est sérieux» dans sa décision de faire démissionner ses élus. Le leader chiite n’en est pas à son coup d’essai en matière de «théâtre politique», rappelle M. Hadad. L’an dernier, il avait d’abord annoncé son boycott des législatives anticipées, avant, finalement, d’y participer.
Et la rue?
Le gouvernement actuel de Moustafa Kazimi ne s’occupe plus que des affaires courantes. Au pouvoir depuis 2020, M. Kazimi, un ancien journaliste et maître espion, a pris les rênes du gouvernement, dans le sillage de l’immense mouvement de protestation anticorruption et antisystème qui a secoué l’Irak à l’automne 2019.
La colère des Irakiens était alimentée par le ras-le-bol du népotisme, des perspectives économiques affligeantes et des services publics déficients. Or, peu de choses ont changé depuis. L’Irak, pourtant l’un des pays les mieux dotés en hydrocarbures, ne parvient pas à fournir d’électricité de manière régulière. Hamzeh Hadad s’attend donc à «de nouvelles manifestations cet été», où les températures frôlent les 50 degrés et les Irakiens n’ont pas de quoi se rafraîchir. C’est d’ailleurs sans doute en prévision de ce nouveau mouvement social que Moqtada Sadr a fait démissionner ses élus, pense Ihsan al-Shammari. Cela lui évite de «porter la responsabilité» des déficiences des services publics. Plus généralement, le politologue pense que «les raisons profondes de la colère populaire ont tout à voir avec les fondements du système politique qui doit changer».