Bande dessinéeLa suite du «Rayon U» de Jacobs fait un tabac qui surprend ses auteurs
Appelés pour dessiner «La flèche ardente», Étienne Schréder et Christian Cailleaux ont dit oui par jeu, s’attendant à ne toucher que les fans ultimes. Ils se sont trompés.
- par
- Michel Pralong
«Étonnant, surprenant, incompréhensible». Voilà comment Étienne Schréder qualifie l’accueil réservé à «La flèche ardente», suite de la première BD réalisée par Edgar P. Jacobs, «Le rayon U». «Cela me pose pas mal de questions sur l’état de la BD actuelle. Comment expliquer que ce genre d’objet connaisse un pareil succès dans un paysage éditorial où abondent romans graphiques, autofiction, BD sociétales, politiques, personnelles, voire nombrilistes?».
Car ce livre est une réplique d’un type de BD qui se faisait durant l’entre-deux-guerres. «Le rayon U était un plagiat de Flash Gordon, Jacobs, dont c’était la première BD propre avant Blake et Mortimer, a improvisé le scénario au jour le jour et voilà que le public plébiscite cette suite aujourd’hui».
Pareil pour l’autre dessinateur, qui s’est chargé des personnages, Christian Cailleaux, qui a vu que tous les fans de Blake et Mortimer s’intéressaient aussi à cette «Flèche ardente», les «mâles de plus de 40 ans», mais également des enfants. «J’en vois en dédicaces, sans doute attirés par les dinosaures du récit».
350 000 exemplaires mis en place
Alors que les deux dessinateurs pensaient que l’album allait être édité à 15’000 ou 20’000 exemplaires, que cela allait être une BD pour initiés, la mise en place aujourd’hui est de 350’000 albums. «Ce sont les libraires qui ont commencé à lui faire de la pub, puis la presse», a constaté Cailleaux.
C’est presque par jeu et par hasard que les deux auteurs sont arrivés sur ce projet. «Jean Van Hamme, le scénariste, a voulu me récompenser pour mon travail sur «La malédiction des trente deniers», sans savoir qu’en fait, je suis dans les coulisses et dans les eaux troubles de l’aventure éditoriale des Blake et Mortimer, depuis «L’affaire Francis Blake» de Ted Benoit», explique Étienne Schréder. «Alors que je n’aimais pas «Le rayon U» que j’avais découvert en réédition dans «Tintin». Je m’étais dit à l’époque qu’ils nous refourguaient des vieilleries. Je ne l’ai d’ailleurs toujours pas lu».
Une liberté loin d’être totale
Mais il a dit oui, «Je ne soupçonnais pas que cela allait m’intéresser, mais je me suis dit, profitons-en pour faire de l’Alex Raymond, le dessinateur de Flash Gordon. Et quand j’ai vu le scénario de Van Hamme et le nombre de femmes, j’ai demandé à Cailleaux de me seconder, car c’est un grand dessinateur féminin».
«Moi aussi je me réjouissais de me lancer dans cette aventure, en tant que fan de Comics et de Flash Gordon, dit Cailleaux. Les femmes d’Alex Raymond sont incroyables, elles sont nues même habillées. Je me réjouissais de la liberté sur les costumes, le graphisme, mais Van Hamme nous a vite freinés: vous ferez du Jacobs de l’époque!»
Ce qui devait presque être une sorte d’album clin d’œil est devenu un gros succès de librairie, mais pas question de prolonger l’aventure, une fois suffit. «Mais je vais boucler une certaine boucle puisque je vais dessiner le dernier scénario que Ted Benoit a écrit avant sa disparition, une aventure de Ray Banana. Un honneur et un bonheur pour moi qui vient de la ligne claire», dit Cailleaux.
«Moi, j’avais dit que je ne ferais jamais une suite à «Amères saisons», l’un de mes derniers albums personnels, en 2008. C’était impensable. Cela ne l’est plus, je pense que je le sortirai en 2025», dit Schréder.