ÉtudeLes communes reliées aux autoroutes profitent surtout aux riches
Depuis 1950, plus les villes ont été connectées au réseau autoroutier suisse, plus les faibles revenus en ont pâti, ont constaté des chercheurs genevois et tessinois.
- par
- Comm/M.P.
La Suisse dépense chaque année près de 2,5 milliards de francs pour améliorer et entretenir ses routes nationales. Depuis les années 1950, de plus en plus de communes se sont ainsi vues reliées au réseau autoroutier. Ce qui, comme plusieurs études l’ont déjà montré, a eu pour conséquence l’augmentation de la population dans les études concernées.
«Mais personne ne s’est jamais penché sur l’évolution de la composition des ménages appartenant à différentes catégories de revenus qui sont induites par ce changement dans ces mêmes municipalités. C’est ce que nous avons fait», explique Frédéric Robert-Nicoud, professeur à la Faculté d’économie et de management (GSEM) de l’Université de Genève.
2480 municipalités analysées
Lui et d’autres chercheurs ont analysé quatre types de données entre 1950 et 2010: les différentes catégories de revenus des contribuables, le recensement de la population, l’évolution du trafic routier et les dépenses des ménages. «Nous avons fait ce travail pour 2480 municipalités suisses, et plus particulièrement pour les 780 municipalités dites non urbaines (moins de 10 000 habitants) qui ont été connectées au réseau autoroutier. Cela afin de pouvoir observer les effets réels de cette nouvelle accessibilité», précise Raphaël Parchet, professeur à l’Institut de recherche économique de l’Université de la Suisse italienne (USI).
Premier constat, selon les résultats publiés dans «The Economic Journal»: la population a bien augmenté dans les communes nouvellement reliées, avec 14% de ménages en plus de manière générale. «Mais ce qui est nouveau, c’est que le nombre de ménages faisant partie des 10% les plus riches de la population (c’est-à-dire ceux dont le revenu imposable est de plus de 129 500 francs par an) augmente de 42%, alors que le nombre de ménages se situant en dessous du revenu imposable médian (moins de 58 900 fr. par an) soit le 50% de la population, n’augmente, lui, que de 5%», constate Frédéric Robert-Nicoud. Alors que ces municipalités étaient auparavant sous-représentées en ménages aisés. L’augmentation relative du nombre de ménages aisés s’explique par le fait qu’ils utilisent plus la voiture pour leurs déplacements que les ménages modestes.
Mais cette nouvelle accessibilité a des effets indirects négatifs sur les ménages les plus pauvres. «Lorsqu’une municipalité est reliée au réseau autoroutier, son accès à l’emploi, aux commerces et aux activités est amélioré, ce qui la rend attractive et conduit à une augmentation des prix des terrains et de l’immobilier, explique Raphaël Parchet. Ainsi, le poids de l’augmentation des prix du foncier repose disproportionnellement sur les ménages les plus pauvres, puisque ceux-ci dépensent environ 40% de leurs revenus pour se loger, contre 15% des revenus pour les ménages les plus aisés».
Les villes s’étalent horizontalement
Ces changements modifient également la forme même des aires métropolitaines: «Lorsqu’une ville est nouvellement connectée au réseau autoroutier, elle s’étale horizontalement», car la campagne proche, devenue plus accessible, est rendue plus attractive. «À long terme, cela réduit la population des centres urbains de 29%», relève Frédéric Robert-Nicoud. Même constat pour les emplois, dont 18% sont finalement décentralisés.
Conclusion: «L’automobile est un luxe; le logement une nécessité. Ainsi, les avantages de l’accès aux autoroutes profitent de manière disproportionnée aux catégories les plus aisées de la population, et ses coûts affectent de manière disproportionnée les personnes à faibles revenus. En définitive, les communes ayant accès au réseau autoroutier sont devenues attractives pour toutes et tous, mais ce sont les plus aisés qui en ont le plus profité», conclut Raphaël Parchet.