VaudAccusée d’avoir tué son molosse: «La prochaine fois, je me laisserai bouffer»
Une sexagénaire vaudoise a comparu ce mardi devant le Tribunal d’Yverdon pour avoir étranglé son amstaff qui l’attaquait. La défense plaide l’acquittement.
- par
- Evelyne Emeri
«J’ai tué mon chien, c’est pas compliqué. J’étais sous adrénaline. Vous n’imaginez pas l’état de panique. Je dis la vérité. Un moment donné mon chien s’est agité, j’ai fermé le store pour qu’il ne saute pas du balcon. Je suis allée chercher un chien promis à l’euthanasie (ndlr. dans une fourrière en France) . Il m’a sauté dessus, j’étouffais. Ma cousine avec laquelle j’étais au téléphone m’a dit: «Protège-toi». Et tout d’un coup, je me vois sortir de mon appartement. Je n’ai torturé aucun animal. Vous croyez qu’on s’amuse avec un molosse. Il dormait avec moi…» La prévenue est très éprouvée près de deux ans après les événements survenus le 1er juillet 2021. Deux suspensions d’audience seront nécessaires.
«Je l’ai mordu»
À 60 ans, cette Vaudoise a vécu la moitié de sa vie avec des chiens. Désormais, elle partage son quotidien avec un chat. Jeanne* que le parquet accuse d’avoir étranglé son amstaff de 3 ans en faisant preuve de cruauté, n’a jamais contesté les faits. Ce mardi, elle l’a confirmé devant le Tribunal de police d’arrondissement de la Broye et du Nord vaudois. Elle a aussi répété ne pas avoir eu d’autres choix que de se défendre. «Un acte de cruauté, c’est pour faire du mal. Ce n’est pas le cas. La prochaine fois, je me laisserai bouffer, rétorque la sexagénaire qui refuse les allégations que l’on porte contre elle, Je l’ai d’abord mordu pour qu’il me lâche, puis je l’ai frappé avec mes jambes pour le repousser. J’ai craint pour ma vie.»
Mise à mort cruelle
La charge de la procureure Claudia Correia, qui n’avait pas demandé à être citée aux débats, est lourde. La magistrate estime Jeanne coupable d’avoir détenu illicitement Tilleul, un chien potentiellement dangereux dès le 28 mai 2021 et de ne pas avoir eu l’autorisation requise par le département des affaires vétérinaires (contravention à la loi vaudoise sur la police des chiens art. 12). Elle retient surtout que la prévenue aurait mis à mort son amstaff de façon cruelle (infraction à la loi fédérale sur la protection des animaux art. 26 al. 1 let. b). Dans son acte d’accusation, le Ministère public requiert une peine pécuniaire de 60 jours-amende à 30 francs le jour avec sursis durant 2 ans et une amende de 300 francs.
Une fois projetée au sol par son molosse, la Vaudoise l’a effectivement étranglé avec une de ses écharpes (ndlr. elle les laisse nouées quand elle les enlève). Elle l’a enroulée deux fois autour du cou du bulldog. Ne parvenant toujours pas à le maîtriser, elle a attrapé une lampe, inséré sa tige dans le nœud et tourné pour resserrer l’étreinte. «L’attaque a duré environ 30 minutes. Je pensais qu’il était inconscient, étourdi, il a bougé la tête et je suis sortie en trombe de l’appartement. Si j’avais su qu’il était mort, je ne serais pas sortie», s’offusque Jeanne. Elle a subi des lésions aux bras et à une oreille: «J’ai cru qu’elle était déchirée tellement ça saignait». Elle en garde des cicatrices, également dans le dos et sur la poitrine. Elle a encore perdu deux dents.
Tilleul ou Narco?
Dans les pas perdus, l’accusée nous éclaire sur ce qui a peut-être poussé son ancien compagnon à quatre pattes à subitement bondir sur elle et à s’acharner. Il a bien sûr entendu aboyer d’autres chiens dans le voisinage et cela l’aurait a priori rendu vraiment nerveux. Mais Tilleul – ou plutôt Narco – a sans doute réagi à un élément concomitant à son avis. «J’ai fait des recherches sur lui, sur son passé et j’ai compris d’où il venait. J’ai aussi découvert qu’il s’appelait Narco. Peu avant l’attaque, je lui ai dit: «Alors toi, tu t’appelles Narco». Tilleul a vécu l’enfer, il a été utilisé comme appât pour des combats de chiens. En entendant «Narco», j’ai pu déclencher chez lui une agression redirigée», explique la sexagénaire. Autrement dit, l’animal aurait déchargé son stress sur une cible de substitution: Jeanne.
Acquittement plaidé
Lors des débats, l’on apprendra que l’unique témoin, qui a «assisté» partiellement à la scène par FaceTime et pu écouter son déroulement durant 20 minutes (ndlr. appel avec la cousine), n’a jamais été auditionnée, voire convoquée par le tribunal. Elle a pourtant non seulement entendu et/ou vu l’agression, mais tenté de soutenir la victime avant de raccrocher, appeler le fils de Jeanne et les secours. Une carence pour la défense représentée par Me Arthur Gueorguiev qui n’a pas manqué de le souligner en plaidoirie. Sans surprise et, d’entrée de cause, l’avocat a demandé l’acquittement de sa mandante. Il a notamment évoqué l’état de nécessité licite: «L’existence d’un danger imminent ne fait aucun doute ici. Les agissements de ma cliente sont totalement justifiés et proportionnés compte tenu des circonstances».
Et l’homme de robe de poursuivre: «Elle a cherché à se protéger en donnant des coups de pied avant de se résoudre à étrangler son chien. Elle a quand même essayé de faire autrement. Dans cette affaire, il y a deux victimes. La première est sans doute au paradis. La 2e vit un enfer sur terre, deux ans d’acharnement pour quelqu’un qui a tendu la main et qui s’est fait arracher le bras. Il est temps qu’elle puisse faire son deuil». Quant à la potentielle détention illicite de l’animal, Me Gueorguiev l’a balayée sur la base de pièces au dossier: «Ma cliente avait obtenu un délai de la part des autorités pour régulariser sa situation».
Le verdict est attendu après Pâques. La juge unique dira si elle suit les réquisitions écrites de la procureure ou s’en écartera.
*Prénom d’emprunt