Abus sur mineuresAcculé, le prédateur présumé persiste: «J’ai foiré mais elles mentent»
Le procès du Vaudois a repris. Le nombre d’accusatrices a doublé depuis la suspension des débats. L’ex-kidnappeur d’avocat stagiaire ne se démonte pas.
![Evelyne Emeri](https://media.lematin.ch/4/image/2023/10/26/c3c9a11b-7dc8-4487-adea-937803c6103e.jpeg?auto=format%2Ccompress%2Cenhance&fit=crop&w=400&h=400&rect=0%2C0%2C1776%2C1799&fp-x=0.5&fp-y=0.500277932184547&crop=focalpoint&s=41455c522f4857632201eb1762794cca)
![28 mars 2022, 8h50 - Accusé d’abus sur mineures, le prévenu arrive en fourgon carcéral pour la reprise de son procès suspendu il y a un an pour un complément d’instruction. 28 mars 2022, 8h50 - Accusé d’abus sur mineures, le prévenu arrive en fourgon carcéral pour la reprise de son procès suspendu il y a un an pour un complément d’instruction.](https://media.lematin.ch/4/image/2023/11/08/da9a7478-5e18-41d8-b1a3-f4f058f47c30.png?auto=format%2Ccompress%2Cenhance&fit=max&w=1200&h=1200&rect=0%2C0%2C2048%2C1363&fp-x=0.5&fp-y=0.5003668378576669&s=d8567a41ca5d5ef3aa28550e29d0479a)
28 mars 2022, 8h50 - Accusé d’abus sur mineures, le prévenu arrive en fourgon carcéral pour la reprise de son procès suspendu il y a un an pour un complément d’instruction.
lematin.ch/20min/François MelilloUn véritable complot ourdi par sept jeunes en rupture en mars 2021 lors du premier procès ajourné. Aujourd’hui, un an après, la nouvelle conspiration serait menée par quatorze accusatrices, qui ne se connaissaient pas forcément, devenues camarades d’infortune et de dépravation. Le prévenu est une victime et il ne manque pas de le faire savoir au Tribunal correctionnel d’arrondissement de Lausanne depuis hier matin 28 mars. La ligne de défense de l’ancien cerveau du spectaculaire rapt d’un avocat stagiaire en 1998 n’a pas changé, alors même qu’il est accusé d’avoir abusé à des degrés divers de ces proies faciles et vulnérables, souvent en foyer ou en fugue, et dont le nombre a doublé.
«Répondez à mes questions!»
Il a bien potassé les dossiers d’enquête qui courent sur quasi deux ans, de fin 2017 au 1er décembre 2019. En particulier, les dépositions de celles qui l’acculent, âgées parfois d’à peine 14 ans au moment des faits. Il louvoie subtilement, joue la montre et ne répond pas aux interrogations du président de la Cour, qui s’agace: «Répondez à mes questions! Je ne veux pas de citations de PV (ndlr. procès-verbaux). C’est un interrogatoire, le vôtre. Vos avocats plaideront le moment venu». Le fêtard cocaïnomane critique sans hésiter la procureure Carole Deletra qui aurait mal fait son travail: «Je viens ici avec des menottes et un passé de criminel, donc je suis un salaud».
Il nie les preuves
Les fêtes à Vevey (VD), les fêtes dans le chalet de Vercorin (VS), la mise à disposition d’alcool et de drogue (shit, ecstasy, cocaïne), les jeux de société, les gages déshabillés, les jours et les nuits de débauche, les jacuzzis en string, la coke sniffée y compris sur les fesses de l’une ou l’autre copine de détresse, les attouchements, les relations sexuelles monnayées, les coucheries… Tous les témoignages se recoupent. Toutes racontent une seule et même histoire qui charge lourdement le prévenu de 48 ans. Ceci d’autant que les preuves égarées durant l’enquête sont des photos et des vidéos où l’on aperçoit même ses propres enfants en arrière-plan. Il en a quatre.
«On faisait des pique-niques, on allait au Papiliorama.»
Même confondu, l’homme aux lourds antécédents judiciaires n’a rien fait. Même arrêté en flagrant délit avec une ado de 15 ans dans son lit, alcoolisée et sous THC: «Je croyais qu’elle avait 17 ans. Je ne l’ai pas touchée. La police n’a pas pu établir que j’avais eu des relations sexuelles avec des mineures de moins de 16 ans». Et de répéter: «Elles pouvaient venir chez moi pour consommer leur propre drogue et alcool plutôt que de se faire violer ailleurs. Je ne suis pas un Saint mais les jeunes n’étaient pas en danger chez moi. Même le SPJ (Service de protection de la jeunesse qui l’a dénoncé pour quatre cas) l’a estimé. On faisait des pique-niques, on allait au Papiliorama».
«15 garçons pour 10 filles»
«J’aurais dû leur proposer des thérapies. Je ne suis pas le bon exemple, lâche le fils adoptif d’un ancien Conseiller d’État vaudois, dans une envolée inattendue, Je ne suis pas fier J’ai des torts.» «Alors pourquoi, étaient-elles mieux chez vous que dans la rue», lance le président? Réponse: «J’avais du plaisir à faire la fête avec ces jeunes. Il y avait aussi des garçons plus âgés qui étaient présents. En règle générale, il y avait 15 garçons pour 10 filles». Quand il veut bien lâcher les rapports de police et ses notes personnelles: «L’enquête a été menée de manière biaisée. Elles mentent. Sur le trafic de drogue, il n’y a aucune preuve. C’est mon ex qui n’a pas accepté que je la quitte. Je n’en ai jamais donné à des mineurs, de l’alcool non plus.»
«Elles se sentaient sous emprise»
Sur les 14 victimes présumées, l’ex-ravisseur en a oublié certaines. D’autres lui auraient même proposé de l’argent pour que lui couche avec elles. «Soit elles mentent, soit c’est la police», faisant référence aux procès-verbaux d’audition. La procureure: «Avec le recul, beaucoup de jeunes vous décrivent comme déviant et pervers. Elles se sentaient sous emprise. Comment vous vous déterminez?» D’un coup, Vercorin ou ailleurs ne sont plus des lieux sûrs, tout en insistant méthodiquement «sur la valeur de sa parole devant un tribunal»: «Évidemment que ça n’allait pas. C’était un milieu malsain chez moi avec la drogue et l’alcool pour ces jeunes en situation précaire. J’aurais dû être plus intelligent et réguler tout ça. J’ai foiré.»
«À la fin, j’étais devenu complètement con.»
«J’aurais dû faire différemment. Plusieurs se sont fait violer ou frapper. Au début, je les écoutais. À la fin, j’étais devenu complètement con», dernière phrase de l’interrogatoire compliqué d’un interlocuteur qui ne semble pas bien prendre la mesure de ce qui l’attend. L’accusé n’a pas été expertisé. Autrement dit, il n’y a pas de doute sur sa responsabilité pénale, pleine et entière.
Sans compter que les juges se réservent la possibilité de retenir la qualification d’actes d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance dans trois cas, en plus des actes d’ordre sexuel avec des enfants de moins de 16 ans, avec des personnes dépendantes de plus de 16 ans et des mineurs contre rémunération. Le Parquet le poursuit également pour remise à des enfants de substances pouvant mettre en danger leur santé, infraction grave et contravention à la Loi fédérale sur les stupéfiants (trafic et consommation).
Des trous de mémoire
Au moment d’entamer la situation personnelle du prévenu, c’est le trou de mémoire. «Qu’avez-vous fait entre votre dernière sortie de prison en 2011 et votre nouvelle incarcération en 2019?», questionne le président de la Cour correctionnelle. «J’ai un problème de mémoire. Avec mon traumatisme en Colombie (ndlr. faisant référence à son adoption), j’efface au fur et à mesure. Quand un gamin d’un an se fait violer… J’ai eu un resto à Mézières, avant ou après. Le décès de ma mère? Je ne me souviens pas de la date», concède le repris de justice. La procureure: «Des changements depuis mars 2021 (ndlr. 1er procès)?» Le Vaudois: «J’ai entamé une formation de programmation d’application informatique».
Verdict le 4 avril
À sa sortie, que fera-t-il? «J’irai voir mes enfants, je ne veux pas qu’ils viennent en prison. Ils souffrent déjà assez. Je reprendrai contact avec une psy de la prison, j’ai son numéro personnel. Et je prendrai des cours en lien avec la création d’applications. Si j’ai un projet concret, mon père m’aidera. Avec mon passé, les entreprises ne vont pas se bousculer. Je me lancerai en indépendant». Ou ira-t-il vivre? «Je vivrai du social qui sera remboursé par mon père en raison de sa situation. Il vient régulièrement me voir. Ça me fait du bien.»
Le procès se poursuit. Le verdict est attendu lundi 4 avril.