Bande dessinéeAvec Bella Ciao, Baru chante l’immigration italienne
L’auteur français était à Delémont’BD pour parler de ses racines italiennes et de sa formidable trilogie sur le sujet, entre réalité, fiction et recettes de cuisine. Interview.
- par
- Michel Pralong
Baru, Grand Prix d’Angoulême en 2010, aime depuis ses débuts évoquer son passé dans des récits mélangeant réalité et fiction, que ce soit dans «Quéquettes Blues», «La piscine de Micheville» ou «Les années Spoutnik». Descendant d’immigrés italiens en Lorraine, il raconte l’histoire de plusieurs générations dans «Bella Ciao», récit en trois volumes. Il était cette année à Delémont’BD pour parler du sujet, notamment lors d’une rencontre avec Cecilia Bozzoli qui a dessiné le pendant suisse de cette histoire avec «Céleste, l’enfant du placard». Nous avons rencontré Baru.
En fait, vous auriez pu être suisse si votre famille avait émigré dans notre pays et non en France?
Oui, mais à l’époque, l’immigration a vidé des villages entiers. Et généralement, ils partaient tous au même endroit. Il a suffi que l’un aille chercher du travail dans les hauts fourneaux en Lorraine et les autres ont suivi. sans rien connaître à a sidérurgie, d’ailleurs Au début, comme en Suisse, il n’y avait que les hommes. Mon grand-père et son frère retournaient tous les deux ans en Italie, ils faisaient un gosse, puis ils revenaient. Mais la politique du regroupement familial a eu lieu bien plus tôt en France qu’en Suisse, les industriels ont compris que d’avoir toute la famille sur place fidélisait leurs ouvriers. Ils ont construit des cités pour eux; dans celle de mes grands-parents, il n’y avait que des Italiens. Reste que l’un de mes films préférés, qui est à la base de mon envie de raconter ces histoires, c’est «Pain et chocolat» avec Nino Manfredi, l’histoire d’un immigré italien en Suisse.
Dans «Bella Ciao», la famille dont vous parlez n’est pas la vôtre, pourquoi?
Je ne suis pas un entomologiste qui observe des fourmis. Je veux raconter des histoires de fiction, avec du drame, de la comédie, mais toujours avec le souci de l’effet de vérité. Depuis «Quéquettes Blues», fiction basée sur ma jeunesse, je savais qu’un jour j’allais parler des parents de cette bande de copains. Après, j’écoute les histoires des uns et des autres, j’imagine des personnages et je mêle le vrai au faux. J’ai ainsi intégré la vraie demande de naturalisation de mon père dans «Bella Ciao».
Et vous intervenez même personnellement, pourquoi?
Je pensais que mon récit manquait de clarté et qu’en me mettant en scène, cela me permettait de donner des explications et que cela renforcerait précisément cet effet de vérité. Après, j’ai laissé des indices pour le lecteur pour déterminer ce qui est vrai ou non. Vous les avez repérés? Ce sont les couleurs. Les passages en couleur, c’est de la fiction et en noir et blanc, c’est la réalité, mais arrangée. Cela veut dire que c’est de la réalité contaminée par la fiction.
Outre le fait de nous mettre la chanson «Belle Ciao» dans la tête, votre trilogie nous donne faim puisque dans chacun des trois tomes, vous détaillez une recette italienne, pourquoi?
Les immigrés italiens venus en France avaient pour entêtement de s’y enraciner. Je cherchais quelque chose de leur culture qui ne disparaissait pas et c’est la nourriture. Dans le premier tome, je parle des cappellettis, ces pâtes farcies qui sont d’ailleurs également dans «Quéquettes Blues». Puis du tiramisu, qu’on vous propose dans tous les restaurants italiens mais qui est dégueulasse alors que bien fait, c’est très bon. Enfin, je fais faire un risotto par une émigrée de Calabre où ils ne savent pas ce que c’est. Mais voilà, elle aussi a su intégrer d’autres parties de la culture italienne dans sa cuisine.
Retournez-vous parfois en Lorraine, lieu de votre enfance et de votre jeunesse?
J’y retournais surtout du vivant de ma mère, mais j’y ai encore quelques copains survivants. En parlant de souvenirs, avec «Bella Ciao» j’ai l’impression d’être devenu le réceptacle d’autres histoires de familles proches de la mienne. C’est incroyable le nombre de personnes en dédicaces qui viennent me raconter leurs récits personnels sur l’immigration.
Encore des souvenirs dans le prochain album?
Oui, mais pas les miens. Il s’appellera «Rodina», qui veut dire «patrie» en russe. Il parlera d’un groupe de femmes résistantes en France composé de Biélorusses et d’Allemandes.