ScienceDes chercheurs suisses parviennent à guider la foudre avec un laser
Lors d’une expérience réalisée au mont Säntis, en Appenzell, notamment par l’Université de Genève, un rayon laser a pu être utilisé comme paratonnerre. Une première scientifique.
Guider la foudre, et pourquoi pas la déclencher un jour: c’est le pari de scientifiques qui en apportent la première démonstration expérimentale avec un laser en haut d’une montagne suisse, comme le rapporte une étude publiée lundi.
«On voulait faire une première démonstration que le laser peut avoir une influence sur la foudre, et le plus simple, c’est de la guider», explique Aurélien Houard, du Laboratoire d’optique appliquée à l’ENSTA-École Polytechnique en région parisienne.
C’est l’aboutissement d’une collaboration d’une vingtaine d’années avec le physicien Jean-Pierre Wolf, du Groupe de physique appliquée à l’Université de Genève, et impliquant six instituts.
La foudre fait plus de 4000 morts par an dans le monde
Les éclairs de foudre, qui surviennent de 40 à 120 fois par seconde autour du globe, causent chaque année plus de 4000 morts et des dommages économiques se chiffrant en milliards de dollars, rappelle l’étude publiée dans «Nature Photonics».
Depuis l’invention du paratonnerre attribuée à Benjamin Franklin au XVIIIe siècle, la science n’a fait de progrès pour s’en protéger qu’en construisant des mâts toujours plus hauts pour la guider.
L’équipe d’Aurélien Houard et de Jean-Pierre Wolf a utilisé un laser en guise de paratonnerre. Son faisceau crée un plasma, de l’air chargé en ions et en électrons, qui est aussi chauffé par ce procédé. L’air traversé par le faisceau «devient alors partiellement conducteur, et ainsi un chemin préférentiel pour la foudre», un peu comme un câble, explique Aurélien Houard.
Premier essai raté en 2004
Les scientifiques avaient testé sans succès cette théorie lors d’une campagne au Nouveau-Mexique en 2004. La faute à un laser mal adapté, et à un terrain où il est difficile de prévoir où tombera l’éclair.
La solution? Ils l’ont trouvée en haut du mont Säntis, à 2500 m d’altitude dans les Préalpes du nord-est de la Suisse. Cerise sur le gâteau, l’endroit est doté d’une tour de télécommunication de 124 m de haut, frappée avec la quasi-régularité d’une horloge au rythme de 100 coups de foudre par an.
Deux ans pour construire un laser superpuissant
Après deux ans de construction d’un laser très puissant, fabriqué par l’Allemand Trumpf, et plusieurs semaines pour le monter par morceaux en téléphérique, le plus gros hélicoptère de Suisse y a déposé des conteneurs pour abriter un télescope. Le télescope sert à concentrer le faisceau du laser pour obtenir l’intensité la plus forte à 150 mètres de haut. Le rayon vert du laser passe d’un diamètre de 20 cm au départ à quelques centimètres.
À l’été 2021, les scientifiques ont réglé leur laser pour créer un plasma au-dessus de la pointe de la tour. Et réussi à photographier le guidage d’un éclair de foudre par le laser sur environ 50 mètres. Trois autres guidages ont été corroborés par des mesures d’interférométrie.
Mieux protéger les aéroports ou les pas de tir des fusées
La foudre se développe avec des précurseurs (semblables à des branches) qui partent des nuages, et du sol quand le champ électrique est suffisamment fort. C’est par la jonction de ces précurseurs que «le courant et la puissance d’un éclair apparaissent vraiment, une fois que le sol est connecté avec le nuage», explique Aurélien Houard.
Le laser guide un de ces précurseurs. Grâce à cela, «il va aller beaucoup plus vite que les autres et plus droit. Il sera alors le premier à se connecter avec le nuage avant de s’illuminer. À la fin, ce précurseur devient l’éclair de foudre.»
Une fois la démonstration apportée qu’on peut guider un éclair de foudre, reste à la confirmer par d’autres expériences. Et à tenter ensuite de déclencher la foudre, pour mieux protéger des installations stratégiques, comme des aéroports ou des pas de tir des fusées. Il suffirait en théorie de lancer des précurseurs, et en pratique d’avoir une conductivité assez élevée dans le plasma. Ce que les chercheurs ne pensent pas encore maîtriser.