Danger accru: Montagne et canicule: «Le maître-mot, c’est s’adapter à tout moment»

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Danger accruMontagne et canicule: «Le maître-mot, c’est s’adapter à tout moment»

Le réchauffement accélère les chutes de séracs et de pierres. Deux morts en Valais, deux disparus à Grindelwald (BE). L’expert Robert Bolognesi appelle à la plus grande prudence.

Evelyne Emeri
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Evelyne Emeri
La pointe de Zinal depuis la cabane du Grand Mountet (photo d’illustration) où l’on voit clairement deux fractures de séracs: à mi-chemin du sommet et en bas à gauche dans l’ombre.

La pointe de Zinal depuis la cabane du Grand Mountet (photo d’illustration) où l’on voit clairement deux fractures de séracs: à mi-chemin du sommet et en bas à gauche dans l’ombre.

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Deux alpinistes autrichiens sont portés disparus depuis une semaine. La glace s’est brisée au-dessus de Grindelwald (BE) et les a emportés alors qu’ils grimpaient sur la voie d’accès à la cabane Mittellegi, située à 3355 m sur la Mitellegigrat (arête NE) de l’Eiger. Dimanche 20 août, une cordée de trois personnes a été surprise par l’effondrement de séracs sur le Glacier de Fee (VS). Elle descendait de l’Allalinhorn qui culmine à 4027 m. Deux membres de la cordée ont survécu et ont été légèrement blessés; le troisième, un Bernois de 61 ans, a laissé la vie sur les hauts de Saas-Fee. Le même jour, sur l’arête qui mène au Bietschhorn (VS), un rocher s’est détaché de la paroi à 3540 m et a tué un grimpeur dont l’identification est en cours.

Fermer la montagne?

Doit-on fermer l’accès à une montagne fragilisée et tous courir à la piscine durant cet épisode caniculaire? Près de chez nous, le préfet de Haute-Savoie en appelle «à la responsabilité et au discernement de chacun et invite (les adeptes) si possible, à reporter l’ascension de la voie normale du Mont-Blanc en raison des risques de chute de pierres, notamment sur le couloir du Goûter». C’est dire que le sujet est d’une actualité brûlante à double titre avec un isotherme qui a plafonné au-dessus des 5000 m. Ici, le nivologue et fondateur du bureau d’étude Meteorisk à Sion, Robert Bolognesi, est plus nuancé mais tout aussi ferme quant au comportement à adopter pendant cette phase étouffante.  

«Il faut bien réfléchir à son itinéraire»

Robert Bolognesi, nivologue
Robert Bolognesi, nivologue et fondateur du bureau d’étude Meteorisk à Sion.

Robert Bolognesi, nivologue et fondateur du bureau d’étude Meteorisk à Sion.

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Indicateurs de danger

«Non, nous ne devons pas tous aller à la piscine et ne plus se rendre à la montagne», réplique, amusé, le spécialiste valaisan. «En revanche, il faut bien réfléchir à son itinéraire et changer le but de sa course, savoir accepter de faire un autre sommet. Le maître-mot, c’est de savoir s’adapter à tout moment en fonction de l’environnement qui nous entoure. Il faut abandonner les zones dangereuses durant cette période. Il y a toujours d’autres options. Il n’est pas nécessaire de renoncer complètement, il faut toujours bien choisir et prendre en compte tous les indicateurs de danger potentiel. Même un alpiniste confirmé ne doit pas hésiter à passer au bureau des guides locaux juste pour un conseil, une recommandation», détaille notre interlocuteur.

Fréquence accélérée

«De manière générale, des chutes de séracs (ndlr. blocs de glace de grande taille formé par la fracturation d’un glacier) ont toujours lieu, même en température négative. On ne peut pas les prévoir. Attention, le réchauffement accélère leur fréquence et le permafrost fond. Les glaciers vont plus vite avec les infiltrations d’eau. Et comme la chute des séracs est directement liée au mouvement du glacier…, poursuit Robert Bolognesi, Plus le glacier est rapide, plus ça va arriver régulièrement parce qu’il glisse plus vite sur son lit rocheux. La masse de glace avance, le mur vertical est en porte-à-faux et casse. Il faut absolument contourner les barres de séracs menaçantes ou leur proximité. Et ce, très largement, particulièrement en aval.» 

«Des séracs, c’est couramment un immeuble de 2 à 3 étages»

Robert Bolognesi, nivologue

L’expert va plus loin: «Un effondrement de séracs, c’est couramment un immeuble de 2 à 3 étages. C’est de l’artillerie lourde, c’est énorme et spectaculaire. Les chutes de pierres, c’est peut-être de la mitraille, mais c’est tout aussi dangereux et même plus inquiétants. Il y a plus de lieux concernés. Les randonneurs évoluent sans casque et n’évaluent pas toujours. Un caillou, même de petite taille, peut avoir des conséquences graves, parfois fatales».

S’agissant de l’isotherme à quelque 5300 m, le directeur de Meteorisk relève que «cela a déjà été le cas en 2022. Cela reste quelque chose d’exceptionnel. Ces quarante dernières années, de mémoire, je dirais que c’est arrivé deux ou trois fois. Cela signifie que pratiquement toute la Suisse est en température positive. Pour un pays alpin, c’est incroyable».

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