PolémiqueLe pied de nez de «Vigousse» à la commune de Versoix
En conflit avec les autorités de Versoix (GE), le magazine satirique a décidé de réagir d’une manière originale. Il n’en dit que du bien et accuse l’avocat Nicolas Capt de tenir un double langage sur la censure.
- par
- Eric Felley
Le 3 septembre 2021, le satirique romand «Vigousse» a publié un article qui faisait état de certains dysfonctionnements au sein de l’administration communale de Versoix (GE). Cette publication a suscité plusieurs réactions judiciaires de la commune aux plans pénal et civil contre l’auteur et le journal. Cette situation met aujourd’hui en difficulté la rédaction: «Ils ont sorti la grosse artillerie pour couler le journal, regrette son rédacteur en chef Stéphane Babey, et enchaînent les plaintes contre nous. C’est la liberté de la presse qui est en jeu, car leur stratégie est de nous faire taire».
Comme l’explique le rédacteur en chef, lors d’une première audience de conciliation, l’avocat de Versoix aurait demandé à «Vigousse» à l’avenir de ne plus mentionner du tout cette commune dans ses colonnes. «On vous laisse mesurer l’énormité de cet acte de censure, réagit-il, ce qui reviendrait à faire comme si soudain une localité avait disparu de la carte!»
Que du bonheur!
Lors d’une deuxième audience, Versoix aurait demandé que «Vigousse» n’ait plus le droit de parler de la commune «en des termes négatifs». Pour l’instant le Tribunal n’a pas tranché cette question. Cependant, la rédaction a tenu à prendre les devants et le numéro publié ce vendredi consacre un bon nombre de pages à ne dire que du bien de Versoix: «Que des informations positives, perle du Léman, havre de paix, grande cité de culture, et seule ville de Suisse où personne n’est malhonnête ni méchant».
Stéphane Babey conclut: «On ose espérer que Versoix, son plus haut fonctionnaire et leurs avocats seront satisfaits de notre attitude bienveillante et proactive dans cette affaire. Et que l’image que nous donnons de leur commune correspond à ce qu’ils imaginaient dans leurs rêves les plus fous».
Nicolas Capt mis en cause
Mais pour qui sait lire entre les lignes, la bienveillance de «Vigousse» n’est qu’apparente et son rédacteur en chef s’étonne de trouver en face de lui l’avocat médiatique Nicolas Capt. Il relève que celui-ci, dans une chronique parue dans «Blick», dénonce la censure faite aux médias officiels russes par les Occidentaux. Stéphane Babey ironise: «Les esprits simples pourront se courroucer de voir ainsi un vaillant défenseur de la démocratie tel que Me Capt prendre fait et cause pour la propagande de Poutine (…) Vouloir censurer un petit canard comme «Vigousse» mais autoriser les discours de haine de l’homme le plus corrompu du monde, n’est-ce pas antithétique?»
Un parallèle «inepte», selon Me Capt
interpellé sur ces allégations, Nicolas Capt réfute: «Ma chronique dans «Blick», loin de se révéler un quelconque éloge poutinien, portait sur un point très spécifique, soit la décision européenne de couper purement et simplement la diffusion en Europe de RT et de Sputnik, que je trouve excessive et relevant de la censure puisqu’elle bloque, en amont, la diffusion de tout contenu sur le sol européen».
Quant à tirer un parallèle avec le conflit qui oppose Versoix et «Vigousse», il le trouve «inepte»: «On ne saurait assimiler à de la censure le recours, selon les formes prévues par la loi, dans un pays démocratique, aux mécanismes de protection de la personnalité. Les juridictions compétentes sont saisies, elles diront le droit».
«Une présentation par l’absurde»
Enfin, concernant le numéro spécial de «Vigousse», qui encense la commune de Versoix, l’avocat note: «Je dois concéder que la manière de faire est assez amusante et qu’elle présente par l’absurde, non sans talent, la situation dans laquelle «Vigousse» estime se trouver. Sur le fond, je relève toutefois que le propos relève d’une aimable fantaisie. Il n’y a jamais eu de quelconque demande que «Vigousse» n’ait plus le droit à l’avenir de mentionner Versoix dans ses colonnes».
Impressum dénonce «un acharnement judiciaire»
Dans un communiqué publié vendredi, le syndicat de la branche, Impressum, prend la défense du journal satirique, ainsi que de Téléversoix, aussi visé par une plainte dans la même affaire: «Impressum dénonce les tentatives de faire taire les rédactions journalistiques de «Vigousse» et de Téléversoix. Ces rédactions font face à une avalanche de plaintes judiciaires de la part de la mairie de Versoix. Impressum y voit une grave atteinte à la liberté de presse». Le syndicat dénonce «un acharnement contre les journalistes, un acharnement judiciaire financé par de l’argent public.»
L’avocat de la commune réagit
Avocat de la commune de Versoix, Romain Jordan estime que le fond de l’affaire n’a rien à voir avec la liberté de la presse: «On l’invoque un peu ici en désespoir de cause. Non seulement nous n’avons évidemment pas demandé à ce que «Vigousse» soit muselé de manière générale, mais en plus nous avons obtenu gain de cause. Il n’y a pas de volonté de museler la presse, mais d’éviter des propos diffamatoires et calomniateurs à l’encontre de collaborateurs, dont la Municipalité a le devoir de protéger la personnalité. Vexé, «Vigousse» choisit la fuite en avant. Je le regrette à titre personnel. »