Qatar 2022Trois questions pour préparer Portugal – Suisse
Faut-il toucher à l’équipe-type de Yakin? Le Portugal est-il si fort que ça? Comment maîtriser tactiquement le match? Tout ce qu’il faut jauger avant ce 8e de finale de Coupe du monde de mardi (20h00).
- par
- Valentin Schnorhk Doha
«Nous n’avons encore rien fait, nous en voulons encore plus.» On ne peut pas reprocher à Breel Embolo de manquer d’ambition. Et en même temps, pourquoi en manquerait-il? L’attaquant de l’équipe de Suisse, comme n’importe quel membre de cette sélection, n’a aucune peine à affirmer ses objectifs élevés. Alors les 8es de finale, c’est une chose. Mais ce n’est pas tout. Et mardi (20h00), la Suisse aura pour but de marquer son histoire, en atteignant pour la première fois les quarts de finale de la Coupe du monde depuis 1954.
Cela suggère d’éliminer le Portugal. Mais pourquoi ne serait-il pas possible d’y parvenir? Le degré de confiance qui caractérise cette sélection permet d’y croire. Et même de se projeter concrètement sur les moyens d’y arriver. Voici les trois questions majeures qui se posent avant le grand rendez-vous de mardi soir.
Murat Yakin doit-il changer quelque chose?
Cette fois, il n’y a pas de calcul. L’équipe qu’alignera Murat Yakin contre le Portugal doit être pensée pour gagner avant tout. «Nous avons une grande chance de continuer d’écrire l’histoire», a lancé le sélectionneur. À lui d’en déterminer le point d’équilibre, en ayant en tête que le match nul n’amènera nulle part d’autre qu’en prolongation, voire aux tirs au but. Un exercice que la Suisse n’a pas spécifiquement préparé, même si «les joueurs tirent tout le temps à la fin des entraînements». Peut-être est-il donc plus sûr de jouer la qualification sur les 90 premières minutes.
Alors, parce qu’il s’agit de Murat Yakin, difficile d’imaginer un grand brassage. Même les choix lui semblent limités. Parce qu’il a tout le monde à disposition: Yann Sommer et Nico Elvedi sont de retour de maladie, Fabian Schär va mieux après son petit refroidissement de dimanche et s’est entraîné lundi et il n’y a pas plus aucune préoccupation autour des états de forme de Xherdan Shaqiri ou Noah Okafor. Autrement dit, rien ne doit empêcher Yakin d’aligner son équipe-type: celle qui a été lancée contre le Cameroun.
C’est celle avec laquelle il dispose de plus de références. La défense-type, forcément. L’attaque aussi, avec le trio Shaqiri-Embolo-Vargas, plutôt complémentaire et équilibré. Et puis le milieu Xhaka-Freuler-Sow. A priori. À moins que ce ne soit dans ce secteur que le sélectionneur de 48 ans puisse s’imaginer une certaine réflexion.
Tiens, on sait que Denis Zakaria est quelque peu monté en grade dans la hiérarchie ces derniers jours. Son entrée d’une demi-heure contre la Serbie a convaincu. Peut-elle être répétée sur une durée plus longue, en étant titularisé? «Nous essayons de l’intégrer encore plus, car nous avons vu à quel point il peut être important pour nous», a admis un Yakin resté suffisamment vague pour semer le doute.
Et si c’était donc ça, la petite surprise à la Yakin, lui, l’instinctif? Zakaria peut-il retrouver une place dans le onze, pour y apporter son envergure et sa capacité à se projeter vers l’avant, là où Djibril Sow n’a pas la même force de pénétration? On y pense, forcément. Et on se rappelle ce trio Xhaka-Freuler-Zakaria, qui avait si bien marché en juin 2019 lors de la demi-finale du Final Four de la Ligue des nations à Porto, également face au Portugal. C’était avant que Cristiano Ronaldo ne décide du sort du match en fin de partie. Mais la référence est intéressante.
La composition probable de la Suisse: Sommer; Widmer, Akanji, Elvedi, Rodriguez; Sow (ou Zakaria), Xhaka, Freuler; Shaqiri, Embolo, Vargas.
Le Portugal est-il si fort que ça?
Sur le papier, elle devrait être injouable. «Le point le plus fort du Portugal, c’est sa constellation d’individualités d’expérience», relevait Vincent Cavin, l’assistant de Murat Yakin. Ce n’est pas en égrainant l’ensemble des noms qui composent la Seleção que le sentiment sera atténué. Alors citons seulement les plus importants d’entre eux: Cristiano Ronaldo, Ruben Dias, João Cancelo, Bernardo Silva, Bruno Fernandes, João Felix. Sélection non exhaustive. Ils se sont à peu près tous mis en valeur lors de deux premiers matches de poule, avec ces victoires contre le Ghana (3-2) et l’Uruguay (2-0).
Sauf que voilà, au Portugal, il y a deux hommes qui cristallisent les débats. Et qui seraient, d’une certaine manière, un peu responsables des difficultés à concrétiser véritablement leurs qualités. Depuis la victoire à l’Euro 2016, les Portugais restent sur deux huitièmes de finale, au Mondial 2018 (défaite contre l’Uruguay) et à l’Euro 2020 (éliminés par la Belgique).
La première cible, c’est le sélectionneur Fernando Santos. Tout le monde lui reconnaît son travail: le titre de champion d’Europe est absolument le sien, dans un style pas toujours convaincant mais diablement efficace. Sauf que les Portugais ont pris depuis conscience de la valeur de leurs joueurs, qui appartiennent aux meilleurs clubs européens. Et ne pas les valoriser relève de l’échec: la tête de Santos était déjà demandée il y a deux ans, après l’Euro. Mais il est resté en poste. Avec un contrat jusqu’en 2024. Peut-il tenir encore longtemps? Peut-être que la dernière a sonné pour «l’Ingénieur».
Est-ce la même situation avec Cristiano Ronaldo? Pas loin, même si la question est encore plus taboue. Il y a un crime de lèse-majesté, rien qu’à la poser. Pourtant, un sondage lancé par le quotidien A Bola a donné du corps au malaise: 70% des répondants estimaient que le quintuple Ballon d’or ne devrait pas être titulaire. Parce que son impact n’est plus aussi important que ce qu’il a pu être et, surtout, son attitude exaspère. Le public notamment, sans doute une partie de ses coéquipiers et même son entraîneur: «Je n’ai pas du tout aimé son attitude contre la Corée du Sud, admet Santos, référence à son énervement au moment de son remplacement. Mais nous avons réglé ça.» Tendu.
De là à rendre le Portugal moins fort? Peut-être. Mais pas de quoi lui retirer son statut de favori de ce 8e de finale.
La composition probable du Portugal: Diogo Costa; Dalot (ou Guerreiro), Pepe, Ruben Dias, Cancelo; Bernardo Silva, Ruben Neves, William Carvalho; Bruno Fernandes, Cristiano Ronaldo, João Felix.
Les infos bonus
La clé tactique: comment maîtriser le match?
Avec ou sans le ballon, l’équipe de Suisse devra probablement être calme et disciplinée mardi. Le Portugal est une des équipes qui a le plus eu de possession dans cette Coupe du monde (environ 55% de moyenne à chaque match, sachant que cela ne compte pas les moments où la balle est contestée par les deux équipes). Cela ne veut pas forcément dire que le Portugal est une équipe absolument focalisée sur la possession. Elle a en revanche des profils qui lui amènent ce contrôle lorsqu’il le faut.
L’un des principaux aspects tactiques de la Selação est la tendance de ses joueurs à dézoner beaucoup et à créer des surnombres dans l’axe. Il n’est par exemple pas rare d’observer Bruno Fernandes et João Felix se rapprocher du porteur de balle. Comment l’appréhender? En évitant une orientation trop individuelle, déjà, histoire de ne pas amener des espaces à se créer ailleurs, notamment en profondeur. Pour éviter de se découvrir, la Suisse aura intérêt à rester compacte et organisée en zone. Mais cela ne fera pas tout.
L’autre ambition de l’équipe nationale sera également d’avoir le ballon. En juin dernier, lorsqu’elle s’était imposée 1-0 à Genève, elle avait eu le ballon 45% du temps. Autrement dit, il est possible que la Suisse ait du temps pour déployer ses actions, même si le pressing portugais pourrait être assez haut. Mais une fois la relance organisée, les Portugais peuvent être cette équipe qui attend en bloc médian. Alors il faudra attaquer intelligemment. Potentiellement avec Granit Xhaka proche de sa défense pour organiser le jeu et éviter des pertes de balle trop basses (à l’instar de celle de Freuler contre la Serbie). Mais aussi en protégeant ses arrières.
Le Portugal est en effet une équipe qui aime pouvoir partir vite à la récupération du ballon. Il faudra anticiper ces pertes de balle et se protéger au maximum. Surtout, en rentrant dans un match où les transitions verticales se succèdent, la Suisse pourrait perdre la maîtrise: le champion d’Europe 2016 possède dans ses rangs quelques éléments qui aiment pouvoir profiter des espaces. Cristiano Ronaldo, forcément, mais Felix, Bernardo Silva ou Bruno Fernandes en font assurément partie. Et on n’envisage même pas une éventuelle entrée en jeu de Rafael Leão.
Moins le match sera une succession de transitions (ce qu’il a par exemple parfois été contre la Serbie, notamment en première période), mieux la Suisse sera à même de la maîtriser.