DécouverteL’acidité de l’air aide à combattre les virus
Plus le pH dans une pièce est bas, plus grippe et coronavirus se désactivent vite, ont constaté des scientifiques suisses. Aérer contribue à acidifier l’atmosphère.
- par
- Michel Pralong
Une étude menée par plusieurs hautes écoles suisses, dont l’EPFL, démontre que les aérosols respiratoires émis dans l’air d’une pièce peuvent présenter différents niveaux d’acidité. Or, leur pH détermine le laps de temps pendant lequel les virus qu’ils contiennent restent infectieux. Ceci a des conséquences considérables sur la transmission des virus, notamment de la grippe et du Covid, ainsi que sur les stratégies visant à les endiguer.
Le coronavirus ou la grippe se transmettent via les aérosols qui sont émis dans l’air lorsqu’on tousse, éternue, ou expire. Il est donc important d’aérer soigneusement les pièces et de filtrer l’air ambiant pour faire baisser la concentration d’aérosols dans les appartements, les bureaux ou les transports publics.
Combien de temps les virus restent infectieux dans les aérosols? Quelques études laissent entendre que l’humidité et la température de l’air pourraient jouer un rôle. Mais un autre facteur, encore sous-estimé à cet égard, est la composition chimique, et en particulier l’acidité, des aérosols expirés en interaction avec l’air ambiant. De nombreux virus, notamment celui de la grippe A, sont en effet sensibles au pH du milieu, et les aérosols peuvent absorber des acides volatils ainsi que d’autres composants de l’air ambiant, tels que l’acide acétique, l’acide nitrique ou l’ammoniac, ce qui influe sur le pH de ces aérosols.
C’est donc sur l’impact de l’acidification des aérosols sur la charge virale que s’est penchée une équipe rassemblant des scientifiques de l’EPFL, de l’EPFZ et de l’Université de Zurich. leur étude, parue dans la revue «Environmental Science & Technology», présente pour la première fois le comportement, dans différentes conditions ambiantes, du pH des aérosols durant le laps de temps qui suit l’expiration, de quelques secondes à plusieurs heures, ainsi que les effets de ce phénomène sur les virus que ces particules transportent.
Les aérosols ont l’acidité du jus d’orange
Les particules expirées s’acidifient plus rapidement qu’attendu. Cette rapidité dépend d’une part de la taille des particules elles-mêmes et d’autre part de la concentration de molécules acides dans l’air ambiant. Dans l’air que l’on trouve typiquement à l’intérieur des habitations, des particules issues de mucus nasal, ainsi que de liquide pulmonaire synthétisé spécialement pour l’étude, affichaient au bout de 100 secondes environ un pH de 4, ce qui correspond à peu près à l’acidité du jus d’orange. Une solution neutre affiche un pH de 7, en dessous de 7, la solution est acide, en dessus elle est basique.
Le principal responsable de l’acidification des aérosols serait l’acide nitrique qui pénètre dans les locaux lors de leur aération ou via l’aspiration d’air extérieur par des systèmes de ventilation. L’acide nitrique résulte de la dégradation des oxydes d’azote, principalement émis via les gaz d’échappement des moteurs diesel et des installations de chauffage domestique. Les villes et les agglomérations en produisent donc en permanence et, par conséquent, également de l’acide nitrique.
Ce dernier adhère rapidement à la surface des meubles, des habits, de la peau, mais aussi aux minuscules particules que nous expirons. Celles-ci s’acidifient à leur tour, ce qui fait baisser leur pH et, selon le type de virus, peut rapidement réduire son infectiosité.
Le coronavirus est hyper résistant à l’acidité
L’étude a également démontré qu’un milieu acide avait une influence décisive sur la vitesse d’inactivation des virus. Les deux types de virus étudiés ont toutefois affiché des différences de sensibilité au pH: le SARS-CoV-2 est si résistant à l’acidité que les scientifiques ont tout d’abord cru à une erreur de mesure. Les coronavirus n’ont été inactivés qu’à un pH inférieur à 2, donc dans un milieu comparable à du jus de citron non dilué, des conditions qui ne sont pas atteintes dans un air intérieur typique.
Les virus de la grippe A sont en revanche inactivés au bout d’une minute seulement dans un milieu présentant un pH de 4, une valeur atteinte en moins de deux minutes par les particules de mucus exhalées dans un environnement intérieur typique. 99% des virus de la grippe sont donc inactivés en 3 minutes environ. Une rapidité qui a surpris l’équipe de recherche. Toutefois, la situation est tout autre pour le SARS-CoV-2: le pH des aérosols descendant rarement au-dessous de 3,5 dans les espaces intérieurs ordinaires, il faut compter plusieurs jours pour parvenir à l’inactivation de 99% des coronavirus.
L’étude a montré que dans un espace bien aéré, les virus de la grippe A étaient efficacement inactivés et que les risques présentés par le SARS-CoV-2 pouvaient toutefois également être réduits. Par contre, dans les intérieurs mal aérés, le risque que les aérosols contiennent des virus actifs est 100 fois supérieur.
Les climatiseurs augmentent les risques
Les simples climatiseurs usuels dotés de filtres à air font baisser les quantités d’acides volatils contenus dans l’air. «Dans les musées, les bibliothèques ou les hôpitaux, la dégradation des molécules acides en suspension dans l’air à l’aide de filtres à charbon actif est vraisemblablement encore plus importante. Aussi existe-t-il dans ce type de bâtiments publics un risque relatif de transmission des virus de la grippe sensiblement plus élevé que dans des bâtiments ventilés avec de l’air extérieur non filtré», indique les chercheurs.
On pourrait ajouter à l’air filtré de petites quantités d’acides volatils, de l’acide nitrique par exemple, et d’en retirer des substances basiques telles que l’ammoniac afin d’accélérer l’acidification des aérosols. Mais une telle mesure serait très controversée, car les conséquences de telles quantités d’acide ne sont pas claires. En effet, les musées comme les bibliothèques filtrent sévèrement leur air ambiant afin de protéger les œuvres d’art et les livres qu’ils contiennent. Les ingénieurs civils ne seraient pas plus enthousiastes, l’adjonction d’acides risquant d’endommager les matériaux et les conduites.
Au moins éliminer l’ammoniac
Il est donc nécessaire de mener des études à long terme pour évaluer les risques que de telles mesures pourraient engendrer, pour les personnes comme pour les constructions. Cependant, l’élimination de l’ammoniac, un composé émis par les êtres vivants et qui stabilise les virus en élevant le pH, ne devrait pas être controversée.