InterviewAlain Chabat: «Enfant, j’étais un mélange du Petit Nicolas et d’Alceste»
Le comédien de 63 ans et Laurent Lafitte prêtent leur voix dans le nouveau film animé de l’écolier le plus célèbre de France, en salle le 12 octobre.
- par
- Fabio Dell'Anna
D’un côté un gamin battu, qui est monté à Paris avec ses croquis sous le bras; de l’autre un exilé dont la famille a été meurtrie par l’antisémitisme. Pour Sempé comme pour Goscinny, créer le Petit Nicolas fut un moyen de panser leurs plaies. Le processus créatif à l’origine du héros incontournable de notre jeunesse est au cœur du film d’animation «Le Petit Nicolas, qu'est-ce qu’on attend pour être heureux?» en salle mercredi 12 octobre.
Alain Chabat, 63 ans, prête sa voix à René Goscinny. «Je suis un fan absolu. Il y a un nombre de strates incroyables, on peut lire un «Astérix» à 8, 30 ou 60 ans jamais de la même manière», confie-t-il au sujet du scénariste. Tandis que Laurent Lafitte, 49 ans, est Jean-Jacques Sempé, décédé en août dernier. Nous avons rencontré les deux comédiens au Festival de Cannes en mai dernier lors de la première du film. Une discussion retraçant leur enfance avec humour et nostalgie.
À quel personnage vous identifiez-vous dans «Le Petit Nicolas»?
Laurent Lafitte: Enfant, j’avais l’impression d’être le Petit Nicolas. Avec le recul je me rends compte que ce n’est pas trop le cas. Il est foufou, mais il a quelque chose d’assez raisonnable et posé. Tout le contraire de moi.
Alain Chabat: J’étais aussi le Petit Nicolas dans ma tête. Mais si je suis honnête, je me revois plutôt avec des petites taches de gras, de beurre ou de sandwich. Je viens de réaliser que j’avais plutôt un petit côté Alceste.
Quels souvenirs vous provoquent les bouquins?
A. C.: De la rigolade. C’est l’un des premiers livres qui n’est pas une bande dessinée que j’ai lu avec autant d’avidité. Je les ai enchaînés et je me souviens avoir rigolé fort. Un rire sonore.
L. L.: D’abord le rire. Plus tard, en les relisant, je me suis rendu compte qu’il y avait aussi quelque chose de très poétique. J’ai ressenti alors beaucoup de nostalgie et je pensais que les protagonistes étaient nos contemporains. J’ai grandi un peu dans une esthétique 50, donc je croyais que c’était ma vie. (Rires.)
Et les conneries étaient aussi présentes?
L. L.: Ah ouais! Plus le cadre est rigide, plus on a envie de faire de conneries.
Par rapport aux bêtises du Petit Nicolas, les vôtres vous paraissent énormes?
L. L.: Je pense avoir fait pire…
A. C.: Oui, elles sont un peu soft ses bêtises.
Un exemple?
L. L.: Il faut que je vérifie s’il y a prescription. (Rires.)
A. C.: Comme c’est très grave, il faut au moins attendre trente ans, c’est ça? (Rires.)
Alain Chabat, René Goscinny revient une énième fois dans votre carrière. Pourquoi?
A. C.: Effectivement, il n’est jamais parti. Cette fois, il est revenu dans ma vie par un simple coup de fil. Lorsque l’on m’a parlé de ce film d’animation sur la rencontre de René Goscinny et Jean-Jacques Sempé je me suis senti honoré. J’ai demandé un petit temps de réflexion, car j’avais besoin d’enregistrer l’information. Puis je me suis dit: «Si on m’appelle, ils doivent avoir confiance en moi.» J’ai alors foncé.
Étiez-vous ensemble pour enregistrer vos voix?
L. L.: Cela m’aurait vraiment gâché le plaisir si on l’avait fait chacun dans notre coin. Le Petit n’était pas avec nous, donc il était important de partager ce moment ensemble. Tout s’est bien déroulé. Aucune difficulté. On a vraiment eu la chance de créer les personnages, car l’animation n’était pas terminée. Elle s’est complétée au fur et à mesure de nos voix, c’est assez rare en France.
A. C.: C’est vrai. Normalement, nous doublons des voix déjà existantes. Il faut qu’on s’adapte à l’image et à la forme de la bouche pour ne pas buter sur les mots. Il s’agit d’un tout autre exercice.
Avez-vous apporté un peu de vous dans les personnages?
L. L.: Je n’ai jamais rencontré Sempé malheureusement et je n’avais pas vraiment d’info sur lui. J’ai juste essayé d’incarner les situations qu’il y avait dans le film. Il y a forcément un peu de nous dans les personnages. En même temps, c’est ce qui est intéressant. Heureusement, ma jeunesse était plus tranquille que la sienne.
Qu’avez-vous trouvé intéressant dans ce projet?
L. L.: De voir les failles de ces deux génies dans leur enfance et de voir ce qu’ils ont décidé d’en faire via leur créativité.
A. C.: Dès que j’ai dit oui, j’ai eu la chance de voir beaucoup de visuels. Ils étaient vraiment magnifiques. Un film à l’aquarelle pendant 1 h 25. C’est un travail incroyable. J’ai discuté avec une personne en charge du développement visuel et il m’a expliqué qu’il s’est plongé dans toutes les œuvres de Sempé. Il a aussi regardé des films où il dessine pour reproduire à la perfection les images. La vitesse du trait était très importante. Il ne fallait pas que ce soit rapide, Sempé dessinait doucement. Tout était très respectueux de son œuvre.
L. L.: J’ai aussi été surpris par leur vie que je ne connaissais pas beaucoup. René Goscinny était assez discret sur la sienne, il était juste très planqué derrière son œuvre. Pareil pour Sempé. Il a des dessins tellement poétiques et drôles que je me suis dit bêtement que le gars a eu une belle vie.
Quel rapport avez-vous avec votre enfance?
L. L.: (Il réfléchit.) En tant qu’acteur dans des projets que je n’ai pas forcément initiés, je reviens souvent dans ce thème. C’est bizarre. Je n’avais jamais fait attention à ça. On a de grands moments de solitude dans l’enfance. On est limite bipolaire petit. (Rires.) On n’est pas complètement formé et, même si on est bien entouré, il peut y avoir des instants un peu sombres.
A. C.: J’ai tendance à me rappeler des bons moments de l’enfance, mais c’est vrai que j’avais aussi parfois le cafard. (Rires.) ils sont la plupart liés à l’imagination. Mais il y avait du dark.
L. L.: Oui et en même temps, on se construit beaucoup sur nos frustrations. Je me rappelle aussi de grands moments d’ennui qui n’étaient pas forcément désagréables. C’était plus comme une mélancolie savoureuse… Mais ça restait de grandes plages d’ennui. (Rires.)
A. C.: Il y a un problème d’ennui aujourd’hui. Les jeunes d’aujourd’hui sont toujours sollicités. J’essaie d’ennuyer mes enfants! (Rires.) Cette zone-là est un peu énervante, mais quand tu dépasses ce moment d’agacement tu en gardes de très bons souvenirs. Je ne m’ennuie jamais.