AfghanistanIls défient les talibans avec le drapeau national
Tandis que le fils du commandant Massoud a appelé à la résistance armée, des Afghans sont descendus dans les rues de plusieurs villes pour défiler avec le drapeau national.
Des manifestants ont défié les talibans dans la rue en brandissant le drapeau national jeudi, jour du 102e anniversaire de l’indépendance de l’Afghanistan, tandis que le fils du défunt commandant Massoud appelait à la résistance contre les islamistes depuis son bastion du Panchir.
Des milliers de personnes continuaient à converger vers l’aéroport de Kaboul depuis que les talibans ont pris la capitale, dimanche, après l’effondrement des forces gouvernementales en à peine 10 jours.
Dans plusieurs endroits de Kaboul, mais aussi à Asadabad (est), des Afghans ont brandi jeudi le drapeau national noir, rouge et vert, bravant les talibans qui ont imposé leur drapeau blanc sur les bâtiments publics.
«C’est une source de grande fierté»
À Kaboul, une petite manifestation a croisé un pick-up de combattants talibans, qui l’ont scrutée avant de finalement passer leur chemin, a constaté un journaliste de l’AFP. Un rassemblement similaire mercredi à Jalalabad (est) avait été dispersé à coups de feu.
Les talibans ont diffusé jeudi un communiqué évoquant l’indépendance et la défaite de l’Empire britannique, ainsi que la fin en 1989 d’une décennie d’occupation soviétique. «C’est une source de grande fierté pour les Afghans que leur pays soit aujourd’hui sur le point de retrouver son indépendance après l’occupation américaine», ont-ils souligné.
Chasse aux opposants?
Se présentant comme plus modérés qu’auparavant, les dirigeants talibans ont promis qu’ils ne se vengeraient pas de leurs opposants, disant avoir gracié les anciens responsables gouvernementaux. Mais selon un document confidentiel de l’ONU consulté par l’AFP, les islamistes recherchent activement des personnes ayant travaillé avec les forces américaines et de l’Otan, les plus menacés étant les gradés des forces armées afghanes, de la police et des unités de renseignement.
Ahmad Massoud, le fils du plus célèbre adversaire des talibans et des Soviétiques, le commandant Ahmed Shah Massoud, assassiné le 9 septembre 2001 par Al-Qaïda, a appelé avec l’ancien vice-président Amrullah Saleh à la résistance armée, «prêt à marcher sur les traces de (son) père». «Les talibans ne contrôlent pas tout le territoire de l’Afghanistan», a confirmé le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov.
Depuis sa vallée du Panchir (nord-est de Kaboul), dernière région non contrôlée par les talibans, Ahmad Massoud assure avoir été rejoint par des soldats «dégoûtés par la reddition de leurs commandants» et par d’anciens membres des forces spéciales. Il a demandé armes et munitions aux États-Unis, dans une tribune publiée dans le quotidien «Washington Post», suppliant: «Vous êtes notre dernier espoir».
Civils afghans bloqués
Coincée entre les postes de contrôle talibans et les barbelés posés par l’armée américaine à l’aéroport, la seule porte de sortie du pays, une immense foule de civils afghans attendait toujours dans l’espoir de trouver un vol pour fuir.
Près des ambassades aussi, ils sont nombreux à prier d’être évacués. Beaucoup ont déjà un visa, mais ne peuvent entrer dans les enceintes diplomatiques. «J’ai parlé avec mon ami qui est sur place. Il a une lettre des Espagnols assurant qu’il peut partir avec eux, mais quand il essaie de gagner la porte on le menace de lui tirer dessus», raconte un homme sous couvert d’anonymat. «Les Espagnols lui ont dit que s’il parvenait à entrer, tout irait bien pour lui, mais il n’y arrive pas».
Si les talibans laissent bien les citoyens américains accéder à l’aéroport, il semble qu’ils «empêchent les Afghans qui souhaitent quitter leur pays d’atteindre l’aéroport», a déploré Wendy Sherman, numéro deux du département d’État américain. «Tous les citoyens américains, tous les ressortissants de pays tiers et tous les Afghans» doivent pouvoir «partir s’ils le souhaitent, de façon sûre et sans être harcelés», a-t-elle ajouté.
Les ministres des Affaires étrangères du G7 ont également appelé les talibans à «garantir un passage en toute sécurité aux ressortissants étrangers et aux Afghans souhaitant partir».
Six mille militaires
Les États-Unis ont envoyé 6000 militaires pour sécuriser l’aéroport de Kaboul et faire partir quelque 30’000 Américains et civils afghans ayant travaillé pour eux et craignant pour leur vie. L’armée américaine a évacué plus de 7000 personnes depuis samedi, selon le Pentagone. De nombreux autres pays, dont beaucoup d’Européens (Espagne, France, Royaume-Uni…), procèdent aussi à des évacuations.
Mardi, un porte-parole des talibans, Zabihullah Mujahid, avait assuré qu’il y aurait de «nombreuses différences» dans leur manière de gouverner par rapport à leur précédent règne entre 1996 et 2001. Ils avaient à l’époque imposé une version ultra-rigoriste de la loi islamique. Les femmes ne pouvaient ni travailler ni étudier, et voleurs et meurtriers encouraient de terribles châtiments.
Méfiance et angoisse
Pour nombre d’Afghans comme pour la communauté internationale, la méfiance reste de mise. Signe de l’angoisse qui étreint les habitants de Kaboul, les affiches et photos de femmes qui ornaient les vitrines des magasins y sont masquées, quand elles n’ont pas déjà été vandalisées.
Des journalistes – quatre d’entre eux ont vu leur domicile perquisitionné – et anciens employés d’organisations et d’ambassades occidentales se disent terrifiés.
«Ceux qui m’écoutent, si le monde m’entend, s’il vous plaît aidez-nous car nos vies sont en danger», a déclaré dans une vidéo postée jeudi en ligne une journaliste afghane, Shabnam Dawran. «Les employés masculins» ont pu entrer dans les locaux de sa chaîne d’information, «mais on m’a dit que je ne pouvais pas continuer à exercer mes fonctions, car le système a changé», a-t-elle expliqué.
Forme de «chaos» inévitable
Très critiqué aux États-Unis et à l’étranger pour sa gestion du retrait, jugé précipité, des troupes américaines après 20 ans de guerre, le président Joe Biden a estimé mercredi qu’une certaine forme de «chaos» était de toute manière inévitable.
Quant aux talibans, «je crois qu’ils traversent une sorte de crise existentielle pour savoir s’ils veulent ou non être reconnus par la communauté internationale comme un gouvernement légitime», a déclaré Joe Biden à la chaîne ABC News.
Les nouveaux maîtres de l’Afghanistan semblent cependant recevoir un accueil international moins hostile qu’il y a deux décennies. La Chine, la Russie, la Turquie et l’Iran ont émis des signaux d’ouverture. Les pays occidentaux, l’Allemagne, les États-Unis, la France et le Royaume-Uni notamment, attendent de juger «sur les actes».
Consultations politiques
Les talibans, dont le cofondateur et numéro deux, le mollah Abdul Ghani Baradar, est rentré d’exil mardi, ont poursuivi leurs consultations politiques pour établir un gouvernement.
Ils ont notamment discuté avec l’ancien président Hamid Karzai (2001-2014) et l’ancien vice-président Abdullah Abdullah. Moscou a dit espérer que ces négociations débouchent sur un «gouvernement représentatif» en Afghanistan.