Justice internationaleLe général algérien Nezzar prêt à être jugé en Suisse
Accusé de crimes contre l’humanité, le célèbre général algérien devra passer devant le Tribunal pénal fédéral. Mais le temps presse.
- par
- Eric Felley
Lundi 28 août, Le Ministère public de la Confédération (MPC) a transmis au Tribunal pénal fédéral (TPF) un acte d’accusation à l’encontre de Khaled Nezzar, général algérien arrêté en 2011 à Genève suite à une dénonciation de l’organisation Trial International. La décision du MPC marque une nouvelle étape importante dans l’enquête ouverte contre ce général impliqué dans la guerre civile qu’a connu l’Algérie au début des années 90.
Né en 1937, le général Nezzar est très connu en Algérie, où il réside actuellement. En 2019 encore, il a fait parler de lui après avoir appelé à un soulèvement de l’armée avec d’autres anciens militaires. Il a été accusé de complot et d’atteinte à l’ordre public et condamné par contumace à 20 ans de prison. Mais finalement, il a pu rentrer en Algérie en décembre 2019 et n’a pas été autrement inquiété depuis.
Torture et traitements inhumains
Dans les années 90, les faits reprochés à l’ancien général algérien sont graves, note Trial International: «Ils font état de crimes de guerre sous forme de torture, de traitements inhumains, de détentions et condamnations arbitraires ainsi que crimes contre l’humanité sous forme d’assassinats qui se seraient déroulés de janvier 1992 à janvier 1994, durant les premières années de la guerre civile».
Maintenant que l’acte d’accusation a été transmis au Tribunal pénal fédéral, Trial International espère que le procès pourra se tenir rapidement en raison de l’état de santé du général, qui n’a cessé de décliner depuis l’ouverture de l’enquête en 2011. En cas de décès, le procès n’aurait évidemment pas lieu. Pour son conseiller juridique Benoit Meystre: «Ce ne serait pas concevable pour les victimes que leur droit d’obtenir justice leur soit maintenant nié».
Viendra-t-il à son procès? «Nous l’espérons, répond-il. Jusqu’ici, il a répondu aux convocations de la justice suisse, la dernière fois en 2022. Selon ses avocats, il a fait savoir qu’il tenait à s’expliquer devant le tribunal».
Un combat pour tous les Algériens
En douze ans d’enquêtes du MPC, certaines parties plaignantes ont dû abandonner pour diverses raisons, l’une étant même décédée. Mais le procès reste très attendu pour celles qui se battent depuis si longtemps pour obtenir justice: «Je ne me bats pas seulement pour moi, déclare l’une d’entre elles, mais pour toutes les victimes de la «décennie noire» de même que pour les plus jeunes et les générations futures. Jamais plus un Algérien ou une Algérienne ne devra subir ce que j’ai moi-même vécu!»
La dernière opportunité
Rappelons qu’entre 1992 et le début des années 2000, l’Algérie a connu une guerre, où la population civile a énormément souffert. On dénombre environ 200 000 morts, 20 000 disparus, des centaines de milliers de gens déplacés, des dizaines de milliers de torturés et de déportés. Ces violences impliquaient des groupes armés se réclamant de l’Islam, mais les principaux responsables de cette «sale guerre» ont été les forces spéciales de l’armée, les services de renseignements, des milices ou des escadrons de la mort. De 1992 à 1994, Khaled Nezzar a été l’un des cinq membres du Haut Comité d’État, la junte militaire qui avait pris le pouvoir et prenait les décisions.
Pour Benoît Meystre: «Aucune autre poursuite concernant la «décennie noire» n’aura lieu, où que ce soit dans le monde. Ce procès est dès lors l’unique, mais aussi la toute dernière opportunité de rendre justice aux victimes de la guerre civile algérienne». Dans quel délai le procès pourrait-il se tenir devant le Tribunal pénal fédéral: «Pour nous, vu son état de santé, le plus vite possible. Nous avons peu d’expérience dans ce type de procédures. Ce ne sera pas demain, mais probablement dans quelques mois».
Un précédent rwandais
Trial International précise que le droit suisse autorise la poursuite de certaines infractions au droit international, notamment les violations des Conventions de Genève, dès lors que le suspect se trouve sur le territoire suisse.
Par le passé, un ressortissant rwandais a ainsi été condamné en Suisse à 14 ans de prison pour sa participation au génocide.