InterviewBéatrice Dalle: «J’étais une toxico des soirées»
La plus punk des actrices françaises joue dans le film «La bête dans la jungle», de Patric Chiha. Rencontre à la Berlinale où elle nous raconte sa première expérience dans un club parisien à 13 ans.
- par
- Fabio Dell'Anna, Berlin
«La bête dans la jungle» raconte l’histoire entre John (Tom Mercier) et May (Anaïs Demoustier). Après une première rencontre à 15 ans, ils se revoient, dix ans plus tard, et ne se quittent plus. «Ils ne tombent pas amoureux, mais on assiste tout de même à une histoire d’amour», nous résume le réalisateur Patric Chiha.
Tout se déroule dans une discothèque branchée parisienne. À la porte de l’établissement, une physionomiste ténébreuse, habillée d’une longue cape signée Saint Laurent est jouée par Béatrice Dalle. Cette dernière est également la narratrice et raconte comment cette relation complexe entre deux inconnus va évoluer, en vingt-cinq ans. Durant cette période, ils vont attendre que quelque chose se passe. Pendant vingt-cinq ans, on va assister à l’évolution du clubbing. Du disco solaire à la techno sombre, sans oublier les looks qui vont avec.
En déplacement à la 73e édition de la Berlinale pour présenter le film qui sortira cette année, Béatrice Dalle, 58 ans, nous parle de ce projet, ainsi que de sa jeunesse rock’n’roll.
Une grande partie du film se passe dans les années 80. Comment était cette décennie, pour vous?
Je n’étais pas née, mon chéri. Je viens des années 2000. (Rires.) Je suis arrivée à Paris en 1981 et toutes les nuits, on allait dehors. Je n’avais pas trop d’argent et j’habitais dans des squats. À chaque fois que je ne pouvais pas sortir, je croyais que j’allais me suicider. Ne pas sortir était inimaginable pour moi. Je n’allais pas dans les boites disco, mais celles plutôt punk. C’était une époque où on ne pensait qu’à la fête, alors qu’aujourd’hui l’argent prime partout. Tout est beaucoup trop contrôlé. Je passais de squat en squat, sans tune, mais au moins je me suis beaucoup amusée.
Vous souvenez-vous de votre première soirée parisienne?
Je n’habitais pas encore la capitale et j’avais fait le mur. Je suis arrivée aux Bains Douches (ndlr: célèbre discothèque entre 1978 et 2010) où ils ne laissaient entrer personne. Je me souviens porter une nuisette et un pantalon. Le physionomiste jetait tout le monde, puis m’a regardé en lâchant: «La petite, elle va rentrer.» Je devais avoir 13 ans. Dedans, je vois les Dead Kennedys et je me suis dit que je n’allais plus jamais rentrer en province. D’ailleurs, je suis toujours amoureuse de Jello Biafra (ndlr: le chanteur du groupe).
Vous ne lisez jamais les scénarios avant d’accepter le film car vous préférez faire confiance au réalisateur. Quelles sont les qualités de Patric Chiha?
Je me foutais du scénario qu’il allait me donner. On a eu notre première expérience avec le film «Domaine» (ndlr: sorti en 2010). D’habitude, je regarde ce que le réalisateur fait avant, mais l’âme de la personne est plus importante. Et avec Patric, c’est comme une histoire d’amour. Lorsque tu rencontres un mec, tu ne sais pas s’il va te mettre une patate dans la gueule et tu vas le balancer aux flics. Ou alors s’il va t’amener au nirvana. Jusqu’à présent, il ne m’a jamais déçue.
Vous êtes une icône punk pour plusieurs générations. Pourquoi, selon vous?
Depuis que j’ai 14 ans, j’ai connu tous les gros groupes punk français et anglais. Je pense être crédible lorsque j’en parle. Tout simplement.
L’arrivée du sida est évidemment évoquée dans le film. Que pouvez-vous nous dire sur cette période?
J’allais au Rose Bonbon à l’époque. On était passé du moment où tout le monde faisait la fête sans problème à celui où les gens mourraient car ils faisaient l’amour. Cela a changé les mentalités. C’était terrible de se dire que les gens nous quittaient car ils avaient couché ensemble. Malheureusement, de nos jours, les jeunes ont tendance à oublier cette période. Il y en a plein qui font n’importe quoi et ne se rappellent pas qu’au bout de chemin qu’il peut y avoir la maladie. Mourir d’aimer, cela n’a quand même pas de sens.
Vous jouez un peu la gardienne du temps devant la porte du club. Quel est votre rapport avec celui-ci?
Je ne regarde pas mon passé. J’ai autre chose à faire et je préfère me concentrer sur le présent. Le reste, je m’en fous. Toute ma vie, j’ai rencontré des gens qui se posent trop de questions et ce n’est pas ce qui me préoccupe. Je vais où mon cœur me mène. Je préfère vivre et répondre à ces questions, avec mes actions.