Agression de Doris Leuthard«Cela montre que ça peut arriver dans toutes les classes sociales»
Collègue de parti de Doris Leuthard et conseillère aux États, Marianne Maret (C/VS) mène le combat à Berne pour que la Suisse prenne au sérieux la lutte contre les violences domestiques.
- par
- Eric Felley
L’ex-conseillère fédérale Doris Leuthard, 59 ans, deux fois présidente de la Confédération, s’invite bien malgré elle dans le dossier des violences subies dans le cadre domestique. La semaine dernière elle a été menacée avec un couteau dans sa maison de vacances au Tessin. Elle a dû appeler à l’aide et la police tessinoise est intervenue pour neutraliser son agresseur. Son conjoint, avec qui elle est mariée depuis 1999, a été arrêté. Le couple n’a pas d’enfant.
«C’est un fléau…»
Selon les médias tessinois, l’époux, fortement alcoolisé, a été placé d’abord dans un établissement psychiatrique, puis en détention à cause d’un risque de récidive. Pour la conseillère aux États valaisanne Marianne Maret (C/VS) et collègue de parti de Doris Leuthard, cette nouvelle a été un choc: «Forcément, c’est un choc, on ne s’habitue pas à ce genre de nouvelles. Hélas, cela arrive souvent lorsque les personnes sont avinées. Cette agression démontre que ce type de violence peut arriver à n’importe qui, dans n’importe quelle classe sociale et dans n’importe quelle classe d’âge aussi. C’est un fléau, dont on n’a pas encore pris conscience en Suisse. Dans cette lutte, on en est encore au stade du bricolage».
Pas moins vulnérables
Pour sa collègue Laurence Fehlmann Rielle (PS/GE), cette affaire est révélatrice: «On pense de manière générale que les personnes qui ont des responsabilités sont épargnées par ce genre de violence, mais, dans leur condition de femme, elles sont aussi vulnérables que les autres. Les conséquences sont peut-être différentes pour celles qui ont des moyens, elles ne se retrouvent pas à la rue par exemple. Mais sur le plan émotionnel et affectif, les dégâts sont les mêmes. Je pense que c’est bien d’évoquer le cas de Mme Leuthard, qui montre aux autres femmes que cela peut arriver à tout le monde.»
Campagne nationale demandée
Marianne Maret mène à Berne un combat tenace contre les violences domestiques. Elle vient de faire passer dans les deux Chambres fédérales une motion qui demande des campagnes de prévention au plan national au même titre que pour le tabagisme, l’alcoolisme ou la prévention contre le SIDA. «Ce qui se passe dans les foyers ne relève plus du privé, mais c’est une question d’ordre politique, a-t-elle argumenté à Berne. Le premier moyen pour lutter contre ces violences est de les rendre visibles».
Un numéro d’urgence… en 2025
L’agression présumée contre Doris Leuthard en est l’occasion: «La Suisse avance beaucoup trop lentement sur ces questions, regrette Marianne Maret. On me dit aujourd’hui qu’un numéro d’appel national est prévu… en 2025. Actuellement, les structures qui travaillent dans ce domaine doivent encore dépenser leur énergie à trouver du financement. Il faudrait investir beaucoup plus pour pouvoir répondre à l’urgence de ces situations».
Le ménage: une zone de non droit
Pour l’élue valaisanne, il s’agit surtout de faire évoluer les mentalités: «Dans les campagnes de prévention, il faut donner des pistes aux victimes, mais aussi faire en sorte que les auteurs de violences prennent conscience de leurs actes. Dans une partie de la population, on considère encore que le ménage est une zone de non droit, que l’on a le droit de faire ce qu’on veut chez soi! Doris Leuthard a pu appeler à l’aide et la police est intervenue, mais toutes les victimes n’ont pas cette force et cette chance». Pour Laurence Fehlmann Rielle: «La Suisse a trop longtemps banalisé ces problèmes, qui ont des fondements culturels anciens et profonds avec la domination masculine au sein du couple».
Une tendance à la hausse
Depuis 2018, la Suisse met œuvre la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (dite Convention d’Istanbul). Cela implique un monitorage permanent de cette problématique. L’année dernière, le Conseil fédéral a présenté un premier bilan de la situation: «Largement répandues en Suisse, la violence à l’égard des femmes et la violence domestique causent de grandes souffrances, relève le Conseil fédéral en juin 2021. En moyenne, une femme meurt des suites de telles violences toutes les deux semaines et demie, et on estime que 27 000 enfants sont concernés chaque année par la violence domestique. La tendance est en légère hausse depuis des années. Le plus haut niveau de violence domestique a été enregistré en 2020, avec 20 123 infractions commises».