Football: Xhaka-Yakin: chronique d’un désaccord permanent

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FootballXhaka-Yakin: chronique d’un désaccord permanent

Entre le capitaine de l’équipe de Suisse et son sélectionneur, il y a presque toujours eu de la tension depuis deux ans. Chronologie des différends.

Valentin Schnorhk
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Valentin Schnorhk
Entre Granit Xhaka et Murat Yakin, l’histoire est tourmentée.

Entre Granit Xhaka et Murat Yakin, l’histoire est tourmentée.

Toto Marti/Blick/freshfocus

Le visage est fermé. Les phrases sont brèves. Les mots sont acerbes. Il faut avoir pratiqué un petit peu le Granit Xhaka pour comprendre rapidement que le moment n’est pas anodin. Et qu’en moins de trois minutes, le capitaine de l’équipe de Suisse vient de nourrir les débats pour plusieurs jours.

C’était samedi soir, dans les couloirs du stade Fadil Vokkri de Pristina, après le 2-2 tout juste concédé par l’équipe nationale au Kosovo. La réaction de Xhaka, qui jouait pour la première fois sur ses terres d’origine, était attendue. Mais la direction qu’elle a prise ne l’était pas. En ciblant très vertement la qualité des entraînements durant la semaine à Sion, le capitaine a indirectement visé le sélectionneur Murat Yakin.

Entre les deux hommes forts de la sélection, il y a presque toujours eu de l’eau dans le gaz depuis que Yakin a été nommé à l’été 2021. Retour chronologique sur ce désaccord permanent.


Préambule: Petkovic, la perte d’un allié

Pour comprendre la défiance de Granit Xhaka à l’égard de Murat Yakin, il faut d’abord faire un saut dans le passé. Xhaka n’est pas naturellement un électron libre. Au contraire, c’est un soldat. Mais un soldat qu’il faut convaincre et auquel il est bon de donner de la confiance. Vladimir Petkovic l’avait pleinement compris.

L’un et l’autre partageaient des idées de jeu communes, ils se sont mutuellement fait confiance et ont guidé à deux l’équipe de Suisse. Jamais, en ces temps, Xhaka n’était monté au créneau pour critiquer ne serait-ce un aspect du jeu que produisait l’équipe nationale. Au contraire. Alors, lorsque Petkovic a décidé de partir pour Bordeaux, le capitaine perdait un allié.


Épisode 1: les débuts de Yakin, Covid et blessure

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Entre Granit Xhaka et Murat Yakin, tout a commencé sous de mauvais auspices. Pour le premier stage du nouveau sélectionneur, le capitaine ne participe qu’à deux entraînements, avant d’être testé positif au Covid. Il n’est pas vacciné, et cela interroge sur le devoir d’exemplarité d’un leader de l’équipe de Suisse. Yakin, de son côté, doit se débrouiller sans: il convoque Fabian Frei, la Suisse obtient un match nul miraculeux 0-0 contre l’Italie et cela confère de la légitimité au nouveau sélectionneur.

Il peut surfer sur cette vague durant tout l’automne 2021, qui mènera la Suisse à la qualification à l’Euro. Elle y parvient sans Xhaka, qui s’est sévèrement blessé au genou avec Arsenal. La seule apparition du capitaine tiendra en un message vidéo à moitié glauque adressé à la sélection avant le match de Rome. Quelques minutes où Yakin n’est plus au centre de la scène. Reste que, en Italie, la Suisse obtient un autre point miraculeux (penalty de Jorginho manqué dans les arrêts de jeu) décisif pour la qualification.

Le rôle capital de Xhaka est discuté: si la Suisse s’est qualifiée sans lui, est-il si important? Dans le même temps, Yakin fait en sorte de conférer des responsabilités à Xherdan Shaqiri, qui se plaît à porter le brassard mais sans pouvoir jouir de la même influence sur le groupe que Xhaka. Yakin est le patron, et est érigé en héros de la qualification. Le lendemain du 4-0 infligé à la Bulgarie lors du dernier match, il est prolongé par l’ASF jusqu’à l’Euro 2024.


Épisode 2: La 100e de Xhaka contre le Kosovo

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Début 2022, Granit Xhaka est revenu en forme, en déjouant tous les pronostics de convalescence. Il est logiquement de retour pour le mois de mars, avec un stage à Marbella et deux matches amicaux spéciaux pour lui: un Angleterre-Suisse à Wembley et, surtout, le premier Suisse-Kosovo de l’histoire à Zurich, lors duquel il honorera sa 100e sélection.

Naturellement, Xhaka est retenu par Yakin. Les deux hommes se découvrent. Xhaka n’est pas forcément bon, mais il retrouve son influence sur le groupe. Et il n’hésite pas à montrer son agacement. Il est total lorsque Murat Yakin décide de le sortir à l’heure de jeu lors du match contre le Kosovo. Le capitaine baisse la tête et va s’enfoncer sur le banc des remplaçants du Letzigrund. Le combat de coqs est lancé.


Épisode 3: La Ligue des nations

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Après une longue saison et à quelques mois de la Coupe du monde, la Suisse doit jouer quatre matches en l’espace de douze jours en juin 2022. La sélection se réunit pendant près de trois semaines. En amont, Murat Yakin parle dans la presse. Dans une interview au Matin Dimanche, il laisse entendre que Granit Xhaka est «spécial», que l’équipe de Suisse doit être «capable de jouer sans lui». C’est la première salve.

La seconde arrivera lorsque Granit Xhaka est placé en numéro 8 lors du premier match disputé, en République tchèque. La Suisse perd 2-1 et, lorsqu’il est interrogé sur son poste, il fait comprendre sa frustration: «N’importe quel entraîneur qui me connaît sait que je suis mieux plus bas». Yakin comprend alors que rien ne serait simple.

«N’importe quel entraîneur qui me connaît sait que je suis mieux plus bas»

Granit Xhaka, après République tchèque – Suisse en juin 2021

Les échos qui émanent de l’interne font aussi savoir qu’entre le capitaine et le sélectionneur, les relations sont très froides. Le premier a beaucoup de peine avec la méthode et les idées du second. Il ne le cache pas. Cela se voit, d’ailleurs.

Sur le terrain, Xhaka finira par retrouver un poste qui lui convient mieux, même s’il enchaîne deux autres défaites (4-0 au Portugal, 1-0 contre l’Espagne), avant de battre 1-0 le Portugal. Avant ce dernier match, en conférence de presse, les deux hommes font croire que tout va bien entre eux. Mais personne n’est dupe.


Épisode 4: Xhaka prend les commandes

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À l’automne 2022, la Coupe du monde approche. Murat Yakin est légèrement sous pression: la Suisse ne veut pas être reléguée en Ligue B de la Ligue des nations. Elle doit donc gagner ses deux matches en Espagne et contre la République tchèque. Évidemment, Xhaka est là et les dissensions avec le sélectionneur sont notoires.

À Saragosse, la Suisse réussit l’exploit de l’emporter 2-1, avec un plan défensif très solide. Murat Yakin s’en félicite. Mais on sait aussi que la manière de défendre n’est pas forcément celle que Yakin avait imaginée. Xhaka, avec les autres cadres, convainc ses partenaires d’aller presser, de mettre de l’intensité, là où Yakin ambitionnait surtout de la prudence. Cela fonctionne, alors le sélectionneur laisse faire.

Dans la guerre interne qu’ils mènent, là, Xhaka a repris de l’influence. Surtout, il est écouté et suivi.


Épisode 5: La Coupe du monde

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Granit Xhaka est un ambitieux. Il le dit, le répète: il veut être champion du monde. Il est malin, aussi: il ne fait aucune vague au Qatar. Il suit la ligne: quand Yakin l’aligne en relayeur gauche contre le Cameroun, il s’exécute, même s’il perd beaucoup d’influence dans le jeu. Contre le Brésil, il est à nouveau placé devant la défense et réalise un bon match.

Contre la Serbie, dans les images capturées par le documentaire «The Pressure Game», on le voit s’énerver à la pause contre «la tactique pourrie». Entre autres. Mais il fera une rencontre pleine, reprenant en fin de match son poste devant la défense pour gérer la fin de rencontre. Provoqué par les joueurs serbes, il finira par déraper une fois avec un geste obscène en direction des remplaçants adverses. De quoi provoquer des débats, notamment sur son rôle de capitaine.

Qu’importe, la Suisse est en 8es de finale et espère passer l’obstacle portugais, qu’elle a déjà battu. Sauf que l’avant-match est mal géré: l’équipe nationale n’apprend que le jour de la rencontre qu’elle jouera à trois derrière, avec un système qu’elle n’a jamais travaillé à l’entraînement.

La faillite est totale, avec une défaite 6-1. Yakin, de son côté, est persuadé d’avoir fait le bon choix. Xhaka, de l’autre, reste digne: «Le problème, ce n’était pas le système, dit-il. On peut jouer à dix derrière, mais quand on ne défend pas, quand on ne court pas, quand on perd les duels et quand on n’est pas sur les deuxièmes ballons, quand on est si loin les uns des autres…» C’est la déception qui parle face à la presse.

En revanche, dans les vestiaires, selon les images du documentaire diffusé par la RTS, avec les autres cadres (Akanji, Embolo notamment), il s’interroge sur la liste de Murat Yakin. Avec seulement deux latéraux de métier. Là, il n’y a évidemment pas d’allégeance. Cela se sent.

Plus tard, Yakin dira que l’idée de la défense à trois lui a été soufflée par certains cadres. Il fait bien sûr référence à Xhaka, à Akanji aussi. Il semble se dédouaner. Les concernés, eux, ne sont jamais revenus dessus.


Épisode 6: L’entraînement

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La grosse déception passée, mais pas oubliée, l’équipe de Suisse s’est donc remis au travail en vue de l’Euro 2024. Toujours avec Murat Yakin. Mais avec un autre système, en 4-3-3 désormais, où Granit Xhaka occupe un poste de numéro 8, alors que Denis Zakaria est devant la défense. Le capitaine, qui a joué ainsi toute la saison passée avec Arsenal, s’en accommode. Il ne fait pas de vagues: la Suisse a plutôt maîtrisé son début d’année, malgré le couac de la fin de match contre la Roumanie en juin (2-2).

Désormais au Bayer Leverkusen, où il évolue dans un milieu à deux devant la défense, Xhaka est donc remonté au créneau samedi. Dans son viseur: le manque d’intensité et de rythme à l’entraînement. Cela n’est pas nouveau: plusieurs joueurs l’ont souvent ressenti comme tel en interne depuis que Murat Yakin est là. Il n’est sorti que maintenant, après un 2-2 contre le Kosovo.

À la veille de Suisse-Andorre, Murat Yakin doit s’exprimer lundi en fin de journée. Les déclarations de Granit Xhaka reviendront forcément sur la table. La pièce est loin d’être terminée.

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