Crise de l’électricitéLe débat tourne à la foire d’empoigne au Parlement
Le Conseil national débloque le parachute de 10 milliards pour soutenir les grandes entreprises électriques afin d’éviter un black out. Mais le sujet déchaîne les passions.
- par
- Eric Felley
À qui la faute? Quand? Comment? Pourquoi en sommes-nous là? Où sont les coupables? Toutes ces questions ont agité le Conseil national ce mardi, à l’occasion du débat sur le sauvetage des entreprises de l’électricité d’importance systémique. Le parachute de 10 milliards demandé par le Conseil fédéral a été accepté, non sans un débat fleuve où tout le monde avait ses explications en fonction de son angle de vue. «Un débat émotionnel qui a ratissé large» selon l’expression de Martin Bäumle (VL/ZH).
Alpiq, Axpo, BKW
La rapporteuse de la commission Delphine Klopfenstein Broggini (V/GE) a fait ce constat: «Les entreprises d’importance systémique pour l’approvisionnement électrique, essentiellement Alpiq, Axpo, BKW, pourraient être mises en difficulté à cause de l’augmentation du prix de l’énergie. Si cette augmentation du prix de l’énergie survient aujourd’hui, c’est évidemment en raison des conflits qui frappent l’Europe, en particulier de la guerre en Ukraine.» Elle a rappelé que le Conseil fédéral a déjà décidé la semaine dernière, dans une ordonnance de nécessité, de mettre 4 milliards de francs à disposition d’Axpo. Le Conseil national devait donc confirmer mardi, dans une loi, cette stratégie, contestée essentiellement par l’UDC.
«Un triste chapitre»
Pour Christian Imark (UDC/SO) cette situation extraordinaire est «un triste chapitre du bilan des décisions politiques de la gauche ces dernières années. La stratégie 2050 a échoué. Les majorités politiques de cette Chambre ont piétiné les bases de la Constitution pour l’approvisionnement du pays. (…) La crise énergétique n’est pas la conséquence de la guerre en Ukraine, nous l’avons fabriquée nous-mêmes». À l’adresse de Simonetta Sommaruga: «Si les scénarios catastrophe doivent arriver cet hiver, les gens descendront dans la rue pour demander plus que votre démission».
Un marché dysfonctionnel
Roger Nordmann (PS/VD) évoque, lui, «la guerre en Ukraine et les pannes du nucléaire français», mais il pointe surtout un marché de l’électricité «totalement dysfonctionnel, qui ne permet pas de réinvestir: il faut retourner à un système où le prix a un rapport avec les coûts de revient». Pour lui, sur le plan suisse, ce n’est pas à cause de la Stratégie 2050: «C’est à cause de la dépendance aux énergies fossiles, si nous avions davantage investi dans les renouvelables, nous n’en serions pas là…» Un avis partagé par les Vert-e-s dans la bouche de Bastien Girod (V/ZH).
«Calmer le jeu»
Pour Nicolo Paganini (C/TI): «Rarement un projet de parachute aura eu autant de défauts, mais il faut le soutenir(…) Même si on ne comprend pas les différents profils de risque de ces entreprises». Pour le représentant du Centre, la Suisse n’a pas le choix: «Les marchés sont tendus, nous avons besoin de calmer le jeu et pas de la faillite d’une entreprise systémique». Et d’espérer que ces prêts soient remboursés.
Comme «repeindre une voiture rouillée»
Son collègue Mike Egger (UDC/SG) a fait le calcul: «Si les prêts ne sont pas remboursés, cela coûtera 115 fr. 80 par personne, pour une famille de quatre personnes cela fait 463 fr. 20 (…) Cette opération est comme repeindre une voiture rouillée… On permettra aux grandes entreprises électriques de continuer avec leur modèle d’affaires qui ne fonctionne pas. Et on parle d’un intérêt de 10% qui seront payés finalement par les contribuables».
Que font les cantons et les communes?
Suzanne Vincenz-Stauffacher (PLR/SG) s’étonne que les propriétaires de ses sociétés, soit les communes et les cantons, n’assument pas leurs responsabilités financières: «La Confédération devrait intervenir en tout dernier recours. Le vrai problème c’est l’approvisionnement, il ne s’agit pas de sauver des entreprises mais de maintenir la sécurité de l’approvisionnement. Si une telle entreprise ne peut plus assumer ses tâches, il y aura une réaction en chaîne et un effondrement de tout le système».
Simonetta Sommaruga stoïque
Bombardée de questions par les élus de l’UDC, Simonetta Sommaruga est restée calme et ne s’est pas laissé égarer: «Ces dix milliards ce ne sont pas une contribution à fonds perdus, il s’agit de surmonter un manque passager de liquidités. En l’espace de 48 heures, les entreprises doivent pouvoir disposer de milliards pour agir sur le marché. Pour les cantons, il n’était pas possible de mettre à disposition des montants aussi élevés en si peu de temps (…) Nous devons absolument éviter qu’une société d’importance systémique fasse faillite et entraîne dans sa chute l’économie du pays».
Situation tendue en Europe
La conseillère fédérale rappelle que la situation est tendue dans toute l’Europe sur la question de l’approvisionnement énergétique. L’Allemagne, l’Autriche ou la Finlande ont aussi mis en place des systèmes de soutien pour leurs entreprises. Elle insiste sur une aide «subsidiaire» de la Confédération: «Le Conseil fédéral a mis des conditions strictes, un taux d’intérêt élevé et une prime de risque. Seul celui qui n’a pas d’autres solutions voudra y avoir recours. Cela permet aussi d’éviter une distorsion de la concurrence».
Devenir plus résilient
Pour la cheffe du DETEC: cette aide s’intègre dans la politique globale mise œuvre par le Conseil fédéral depuis l’été: «C’est une mesure parmi d’autres pour prévenir les pénuries qui pourraient avoir lieu cet hiver, avec la réserve hydroélectrique, les turbines mobiles, des capacités de stockage de gaz supplémentaires et la campagne d’économie d’énergie. (…) S’accuser mutuellement, cela fait parti du jeu politique, mais je crois que la population s’attend à ce qu’on assure la sécurité de l’approvisionnement énergétique et que notre pays devienne plus résilient sur ce point».
Au vote, le Conseil national a accepté les 10 milliards par 136 voix contre 56 (principalement l’UDC) et quatre abstentions.