ÉditorialDiscours haineux: le réveil tardif du Conseil fédéral
Le Conseil fédéral veut prendre des mesures contre le discours haineux. Après les révélations sur les pratiques de Facebook en la matière, il n’est jamais trop tard pour agir.
- par
- Eric Felley
Le contexte de la pandémie du coronavirus a montré à quel point les réseaux sociaux peuvent s’enflammer de vérités, de contre-vérités, d’études réelles ou supposées, de voix expertes ou non, de chiffres vérifiés ou fantaisistes et, bien sûr, de complots et conspirations mondiales. Des points de vue qui sont bien souvent échangés à coups d’invectives et d’anathèmes.
Depuis l’avènement des réseaux sociaux, leurs contenus n’ont jamais été aussi opposés, belliqueux et agressifs qu’autour de cette pandémie. Cette ambiance hystérique n’a pas épargné non plus les autorités qui prennent des décisions ou ceux qui les font suivre. Comme on se trouve dans un cadre sanitaire, on les accuse d’être au mieux des vendus à la solde des pharmas, au pire des assassins qui devront rendre des comptes. Notre chef du Département de l’intérieur en sait quelque chose…
Un peu tard et pas pressé
Ce mercredi, le Conseil fédéral semble vouloir prendre les choses en main pour mettre un peu d’ordre sur les plateformes contre ce discours haineux et la désinformation. Mais n’arrive-t-il pas un peu tard depuis le temps que ce phénomène existe? Il précise que le département de Simonetta Sommaruga est chargé de lui présenter d’ici fin 2022 «une note de discussion indiquant si et comment les plateformes de communication pourraient être réglementées». Non seulement il arrive un peu tard, mais, en plus, il ne semble guère pressé.
Y a-t-il urgence en la matière? Le phénomène du «discours haineux» s’est hélas implanté dans le débat politique, que ce soit lors des campagnes de votations, d’élections ou tout simplement dans l’actualité quotidienne. Certains hommes politiques l’ont intégré dans leur discours, par exemple en traitant les habitants de villes de «parasites». Les réseaux sociaux ont aussi désinhibé des personnes qu’on n’entendait pas avant, ou seulement dans un cadre restreint. C’est un fait que cette évolution n’a pas toujours révélé le meilleur côté de la nature humaine. Et il faut bien s’en accommoder.
Le cas Facebook
Mais ce qui est plus grave est que cette matière de haine est devenue une source de profits. Selon les révélations récentes d’une ancienne employée de Facebook, Frances Haugen, cette entreprise aurait compris depuis longtemps que les publications qui entraînent le plus d’engagements sont celles qui diffusent de la peur ou de la haine. Autrement dit, en amplifiant ces diffusions, on optimise les profits. Le documentaire «The social Dilemma», diffusé en 2020 sur Netflix, avait déjà abordé ces questions, notamment au sujet de la diffusion des thèses complotistes.
Dans ce monde-là, le Conseil fédéral ne pourra pas faire des miracles. Mais ce qu’on peut demander aux pouvoirs publics, c’est de renforcer la traçabilité des messages et l’identification des personnes. Le discours haineux et la désinformation sont très souvent liés à la lâcheté de leurs auteurs. Si l’on ne peut pas les trouver, il faudrait que les responsables des plateformes soient tenus pour pénalement responsables. Dans un système où l’anonymat fait le lit de l’impunité, ce serait déjà une bonne forme de dissuasion.