Cluster à IschglDébut du premier procès de la gestion de la pandémie en Autriche
La station de ski d’Ischgl était devenue l’un des plus gros foyers de coronavirus d’Europe. De nombreuses familles endeuillées ont porté plainte contre les autorités autrichiennes.
Vendredi, s’est ouvert à Vienne, le premier procès d’une longue série intentée par des familles endeuillées par le Covid-19 dans les Alpes autrichiennes, au tout début de la pandémie, et qui pointent la responsabilité des autorités.
Plus de 6000 personnes originaires de 45 pays affirment qu’elles ou leurs proches ont été contaminées dans la station huppée d’Ischgl ou dans les environs en raison de négligences et d’une gestion chaotique en mars 2020.
L’audience a débuté à 10 h 00, inaugurant un marathon judiciaire pour un dossier tentaculaire: une quinzaine d’actions en justice sont déjà recensées.
Une première plainte traitée
La juge se penche sur la plainte déposée par l’Autrichienne Sieglinde Schopf, qui n’était pas présente, et son fils Ulrich, assailli par les médias, a constaté un journaliste de l’AFP. C’était il y a un an et demi: son mari depuis près de 50 ans partait rejoindre les pistes enneigées de la station du Tyrol, d’où s’est répandu le virus comme une traînée de poudre en Europe.
À la gare, Sieglinde Schopf se souvient de l’avoir serré dans les bras pour la dernière fois. Quelques semaines plus tard, Hannes, un fervent skieur de 72 ans, mourait du Covid-19, seul dans la chambre d’un hôpital, situé près de Vienne. «Mon monde s’est écroulé», confiait en avril, à l’AFP, la septuagénaire qui s’en veut toujours de l’avoir encouragé à faire une escapade. «Je ne peux pas me pardonner car au final, je l’ai envoyé à la mort».
Réaction «trop tardive»
Son avocat Alexander Klauser estime que la liste des manquements est longue. Selon un rapport d’experts indépendants, une première alerte émise dès le 5 mars, par l’Islande, qui s’alarmait du retour de touristes contaminés à Ischgl, a été ignorée. Les skieurs ont continué à s’entasser dans les cabines téléphériques, tandis qu’en soirée la fête battait son plein dans les vallées.
«Le 8 mars, il a été clairement établi que le personnel touristique d’Ischgl avait contracté le virus, mais cette fois encore la réaction a été trop faible, trop lente, trop tardive», dénonce l’avocat, alors que le virus flambait déjà de l’autre côté de la frontière en Italie. Il estime que tout a été fait pour minimiser la formation d’un cluster et permettre à la saison de se poursuivre comme si de rien n’était.
Quelques jours plus tard, le chancelier conservateur, Sebastian Kurz, a décrété un confinement local et demandé à des milliers de touristes de quitter les lieux en quelques heures, ce qui selon les victimes et leurs proches aurait précipité la catastrophe.
Admettre «sa responsabilité»
Sieglinde Schopf est convaincue que son mari a été exposé au virus pendant cette évacuation. Elle et son fils réclament à l’État 100’000 euros (plus de 109’000 francs) de dommages et intérêts.
«Ce que veulent les parties civiles, c’est que la République d’Autriche admette sa responsabilité – nous n’avons eu aucun signe en ce sens jusqu’à présent», explique Me Klauser. Ce refus «prolonge» la souffrance des proches, insiste-t-il.
Parmi les milliers de personnes touchées, environ 5% auraient souffert d’un Covid long, avec des maux de tête, des troubles du sommeil et un essoufflement. Au total, 32 personnes sont décédées, selon l’association de consommateurs VSV qui regroupe les procédures.
Cinq personnes sous enquête
Tout en exprimant leur sympathie pour les victimes, les autorités nient tout manquement, estimant avoir agi en l’état des connaissances à leur disposition, à ce moment-là. Contacté par l’AFP à la veille du procès, le bureau des procureurs, qui représente l’État, s’était refusé à «tout commentaire sur une procédure en cours».
Dans ce scandale, cinq personnes, dont Werner Kurz, le maire d’Ischgl, font l’objet d’une enquête pour «administration intentionnelle ou par négligence de maladie transmissible ayant porté atteinte à l’intégrité physique ou psychique d’autrui». Le parquet d’Innsbruck, le chef-lieu du Tyrol, a transmis le dossier au ministère de la Justice, sans que l’on sache si des poursuites pénales seront finalement engagées.