CyclismeStefan Küng a appris à vivre avec la frustration, d’autres Suisses brillent
Le Thurgovien de bientôt 30 ans a subi un nouveau revers qui fait mal, dimanche, sur le Giro. Pendant ce temps-là, Marc Hirschi, Yannis Voisard et Marlen Reusser ont fait fort.
- par
- Robin Carrel
À force, il est en train de devenir un «meme» au sein de la très active communauté de la petite reine sur Twitter. Stefan Küng est un perdant, certes magnifique, mais un perdant quand même. À tel point que ses collègues eux-mêmes vont un jour finir par ralentir pour qu'il en gagne enfin une belle. Parce que l'accumulation de places d'honneur du rouleur de la Groupama-FDJ est juste hallucinante. Même feu Raymond Poulidor, qui en avait quand même gagné pas mal et des belles malgré sa réputation, doit regarder ça avec un œil désolé depuis là où il est.
Une fois encore, dimanche, le «King Küng» n'est pas monté sur le trône. Il a fini quatrième du chrono du Giro plat comme la main... à quatre secondes de la victoire. Remco Evenepoel – covidé et hors course quelques heures plus tard –, Geraint Thomas et Tao Geoghegan Hart ont fini devant lui, eux qui ont bénéficié, en plus, de meilleures conditions météorologiques, entre Savignano sul Rubicone et Cesena (35 km). Le dernier exercice chronométré, en fin de Tour d’Italie, n’ayant plus d’intérêt pour le Suisse – avec notamment un passage de 5 km à plus de 15%… –, il a décidé lundi de «mettre la flèche» et de se concentrer sur la suite de la saison, avec son tour national, celui de Suisse, et les prochains Mondiaux.
Ce résultat crève-cœur n'est que la suite logique d'un alignement de frustrations à travers les années. Contre-la-montre, le Suisse a terminé 3e des Mondiaux en 2020 et 5e en 2021. Le pire? L'année dernière en Australie. On le voyait enfin gagner et il s'est effondré en fin de parcours, pour terminer à 3 secondes de la surprise norvégienne Tobias Foss. Et que dire de sa 4e place aux JO en 2021? Küng avait manqué le bronze pour quelques centièmes face à Rohan Dennis. Quand ça ne veut pas...
Trois victoires, deux maillots!
Bien loin de la poisse qui semble coller aux pédales de Stefan Küng, ses compatriotes ont brillé en fin de semaines dernière. Tout a commencé vendredi avec Marc Hirschi, vainqueur et maillot jaune au terme de la 3e étape du Tour de Hongrie. Un peu plus de trois mois après une fracture d’un avant-bras, c’est fort. Le Bernois avait montré des signes de retour aux affaires sur Liège-Bastogne-Liège (10e) et la Classique de Francfort (4e). Il a confirmé en Hongrie.
Samedi, lors de l’étape-reine de la compétition hongroise, le coureur de l’UAE Team Emirates a fait la police et suivi tous les autres cadors qui ont tenté de l’attaquer. Même le Colombien Egan Bernal n’a rien pu faire. Hirschi n’a laissé filer que Yannis Voisard et le Jurassien en a profité pour confirmer qu’il avait le niveau World Tour en gagnant là le plus beau succès de sa carrière. Le coureur de la formation Tudor n’a que 24 ans et promet beaucoup.
L’autre grosse performance du week-end est venue du Pays basque, où les SD Worx, décidément une jambe en-dessus de tout le monde dans le peloton féminin, se sont partagées les victoires. Vendredi, l’insatiable Demi Vollering (gagnante à Liège, sur la Flèche Wallonne, l’Amstel, le Tour des Flandres et les Strade Bianche cette saison) avait remporté la 1re étape.
Samedi, la Néerlandaise voulait se mettre au service de Marlen Reusser, mais ça n’a pas fonctionné. Alors elle est allée gagner au sprint. Puis, dimanche, la Suissesse a pris la poudre d’escampette et sa coéquipière a géré le reste derrière. Résultat? La Bernoise a mis plus de deux minutes et demie à un groupe de cinq coureuses que… Vollering a réglé au sprint. Reusser a terminé largement en tête du général, son premier succès sur une course à étapes de très haut niveau.
Mais il n'y a pas que sur les grandes compétitions d'un jour que la machine à rouler helvétique semble maudit. Les Classiques aussi, il les vise avec appétit et finit souvent avec la boule au ventre. En World Tour, sur les Monuments, il y a toujours quelque chose qui lui manque (depuis 2020: 3e et 5e à Roubaix, 6e et 5e du Tour des Flandres, 6e et 3e du GPE3, 6e et 5e de Gand-Wevelgem...) Il est trop fort pour ne pas être marqué par ses rivaux, mais il lui manque à chaque fois un petit quelque chose face aux cadors.
Stefan Küng semble aussi maudit sur les grands Tours. Alors oui, il a tendance à s'imposer aux Championnats d'Europe, sur le Tour d'Algarve, en Romandie, sur le Tour de Suisse, le Chrono des Nations ou le Tour du Poitou. Mais sur les efforts chronométrés des épreuves les plus exposées, il lui manque toujours un minuscule je ne sais quoi. Celui qui est à moitié Liechtensteinois a terminé 4e et 5e sur le Giro cette année. 11e et 14e sur les CLM du Tour de France 2022, 4e et 2e sur la Grande Boucle précédente ou encore 2e à 5 secondes de Thomas en 2017.
Si ça n'était arrivé que trois ou quatre fois, ça pourrait être rageant. Là, on est passé largement au niveau supérieur et le coureur lui-même semble gentiment se lasser: «Que dire? J’ai l’impression que c’est l’histoire de ma vie. Je passe à chaque fois à côté de la victoire pour un rien. En plus, la route était plus sèche sur la fin pour les coureurs du classement général. C’est le sport, je ne me réfugie pas derrière cela, mais c’est très frustrant de finir encore si proche... C’est tout ce que je peux dire.»
«Pour Stefan, ce sont davantage la déception et la frustration qui priment, car il passe encore tout près d’une grosse victoire, a analysé Julien Pinot, l'entraîneur de la Groupama-FDJ. On apprend à relativiser, mais on va continuer à travailler pour que les secondes soient enfin de notre côté sur les grands rendez-vous. Ces quatre secondes, elles sont partout et nulle part. C’est comme ça!» Autant dire que le jour où il va en claquer une, tout le monde sera très heureux.