Bande dessinéeDes auteurs de BD disent non à la reprise de Gaston Lagaffe
Une lettre ouverte s’indignant du retour du héros de Franquin malgré la volonté de son créateur a été signée par près de 800 personnes, dont Geluck, Goossens et Zep.
- par
- Michel Pralong
C’est l’histoire d’une reprise annoncée qui fait un bruit encore plus discordant que le gaffophone. Celle précisément de Gaston Lagaffe, mythique héros de l’auteur de BD belge André Franquin. Les Éditions Dupuis, qui en ont racheté les droits éditoriaux, avaient annoncé en mars dernier que le célèbre gaffeur allait faire son retour sous le crayon du Québécois Delaf.
Sauf qu’Isabelle Franquin, fille de l’auteur décédé en 1997, détient elle le droit moral sur l’œuvre de son père. Elle s’est opposée à cette reprise et a attaqué l’éditeur en justice. L’affaire est en cours mais les prépublications des premiers gags dans «Spirou» qui devaient débuter en avril ont été suspendues.
Isabelle Franquin a reçu du soutien via une lettre ouverte adressée Média-Particpations, propriétaire de Dupuis, et qui a été publiée sur le site respectdesauteurs.com. «Pour ceux et celles qui consacrent leur talent et activité à cette forme artistique (la BD), comme pour les lecteurs et lectrices, il est essentiel que les droits moraux des auteurs – morts ou vifs – soient respectés. Pour préserver cette nécessaire confiance, il est impératif que vous honoriez la volonté d’André Franquin, qui a demandé – à de nombreuses reprises, publiquement et sans détour – que son personnage de Gaston ne lui survive pas sous les traits d’autres auteurs», peut-on lire.
«Piétiner la vision de Franquin»
Ce lundi 9 mai, la lettre a été signée par près de 800 personnes, dont de nombreux auteurs BD, dont Dany (Olivier Rameau), Benoît Peeters (Les cités obscures), Boucq (Bouncer) ou Frank Le Gall (Théodore Poussin). Jean-Luc Masbou, scénariste de «De cape et de crocs» écrit «ça viendrait à l’idée de qui de vouloir ramener à la vie Marie Curie pour voir si elle a quelque chose à apporter à la recherche scientifique!? Gaston est très bien là où il est bien calé dans ma mémoire entre mes Lego et mes résultats scolaires minables!»
«Au-delà de la froide question juridique, mettre en place cette espèce de clonage, c’est aussi piétiner la vision poétique, fraternelle et humaniste du monde qu’André Franquin déploie dans les pages de Gaston Lagaffe», réagit pour sa part Étienne Davodeau (Les ignorants). Geluck, le papa du «Chat», a également signé, lui qui précise que comme Franquin, il s’est d’ores et déjà opposé à toute reprise de son héros.
«Je signe, écrit Goossens (pilier de «Fluide Glacial»), pour la volonté infiniment respectable de Franquin de préserver son univers autour de Gaston et je dis bravo à Delaf, moi qui n’ai jamais réussi à dessiner un Gaston ressemblant. Je suis scotché par son exploit mais qui aurait dû rester une expérience d’artiste – exceptionnelle – hors circuit commercial». Le repreneur est d’ailleurs souvent plus plaint que critiqué: «Avec une petite pensée pour Delaf qui va probablement perdre 5 ans de travail; au nom de la créativité, de l’humour et la préservation du patrimoine, je signe», dit Eric Maltaite (Choc).
Des signataires suisses
Jean-Claude Menu y voit une zombification de l’œuvre: «Il est important de cesser de confondre «hommage» avec «exploitation commerciale décomplexée». Lorsqu’un personnage est une «émanation-signature», comme le disait Moebius, et comme l’est sans discussion Gaston Lagaffe, le ressusciter sans consentement s’apparente à une violation de sépulture ou à une zombification de l’œuvre».
Des auteurs suisses se sont associés à cet appel, comme le dessinateur de presse Vincent L’Epée qui écrit: «La volonté de l’auteur plutôt que celles des marchands du temple». Pour Zep, le créateur de Titeuf, c’est clair: «Arrêtez avec ces imitations de personnages, c’est nul».