Cinéma«Je voulais donner une vision positive des réseaux sociaux»
Relecture du classique «La belle et la bête» à la sauce S.F., «Belle» est une nouvelle claque du cinéma d’animation japonais. Entretien avec son réalisateur.
- par
- Christophe Pinol
C’est l’un des plus talentueux réalisateurs de films d’animation actuels. En 2012, Mamoru Hosoda livrait un vibrant hommage à sa maman, qui avait élevé seule sa petite famille, avec le film «Ame & Yuki – Les enfants loups». Il y a trois ans, avec «Miraï, ma petite sœur», il signait une émouvante chronique familiale, plongée dans la psyché d’un petit garçon jaloux de la naissance de sa sœur.
Aujourd’hui, «Belle» (sortie ce 28 janvier), son 8e long métrage, s’impose comme une passionnante relecture de «La belle et la bête» (voir ci-dessous), où une jeune adolescente réservée et complexée devient une star de la musique dans le monde virtuel de U, un gigantesque réseau social.
Le film était présenté hors compétition au dernier Festival de Cannes et nous y avions rencontré son réalisateur.
- Avec votre précédent film, «Miraï, ma petite sœur», vous abordiez les rapports fraternels en vous inspirant de vos propres enfants, et notamment de la naissance de votre fille. Où êtes-vous allé chercher l’inspiration de «Belle»?
- Toujours du côté de ma fille. Elle a aujourd’hui 5 ans, est à la maternelle. Elle n’a encore qu’une amie mais je ne me fais pas de souci de ce côté-là. Plus tard, elle aura son propre smartphone, surfera sur les réseaux sociaux et se retrouvera elle aussi prise dans cet inextricable environnement de relations humaines… C’est de là que j’ai tiré mon inspiration: en imaginant à quoi pourrait ressembler son monde quand elle sera ado.
- Vous semblez mettre de côté les aspects négatifs d’internet et des réseaux sociaux. Pourquoi ce choix?
- Oui, les problèmes existent, bien sûr: commentaires haineux, cyberattaques, cyberharcèlement… Mais ils sont avant tout le reflet de notre propre humanité et internet n’a fait que les révéler. Et si ce dernier est aussi néfaste qu’on le dit, c’est que notre monde doit l’être également. Quand ils abordent le thème dans leurs films, la plupart des cinéastes en font des dystopies, en évoquant l’émergence de ce capitalisme global, ses dangers, et à quel point nous en sommes devenus les esclaves. Ces peurs sont bien entendu fondées. Et je les comprends. Mais je voulais avoir une approche positive du sujet. J’ai d’ailleurs l’impression d’être le seul réalisateur au monde à aborder la thématique de manière optimiste. Je le faisais déjà à mes débuts, il y a 20 ans, avec «Digimon: The Movie», puis avec «Summer Wars», en 2009. Je crois que c’est important de donner ce type de message à la jeune génération, leur faire comprendre qu’internet peut aussi aider à rendre notre monde meilleur. De toute façon, on ne peut aujourd’hui plus se passer de cet outil. Il faut qu’il nous soit bénéfique.
- «Belle» fait évidemment référence à «La belle et la bête». Quel lien entretenez-vous avec le conte?
- Il y a un peu plus de 30 ans, je sortais diplômé de l’université et j’ai commencé à travailler chez Toei Animation (ndlr: l’un des plus importants studios japonais du genre, à qui l’on doit les animes de «Dragon Ball», «One Piece» ou encore «Sailor Moon»). Mais le rythme de travail était si dur que je me suis sincèrement demandé si j’allais continuer dans ce domaine. Et puis en 1991 est sorti «La belle et la bête», version Disney, et j’ai littéralement été subjugué par ce film et la qualité de son animation. C’est vraiment lui qui m’a redonné le courage d’affronter les difficultés de mon métier: je me suis dit que si un jour j’étais capable de réaliser un film de cette trempe, ça valait le coup de persévérer. Et depuis, j’avais cette idée de réaliser ma propre version.
- Vous connaissiez aussi le film de Jean Cocteau?
- Bien sûr. Je l’avais même découvert avant. J’aime également beaucoup cette version et mon idée était de transposer ces personnages à notre époque, qui a forcément bien changée. Tout comme nos valeurs. J’ai notamment essayé d’adopter un regard plus contemporain sur Belle, qui était traitée de manière assez archaïque, principalement chez Cocteau. Mais également dans le Disney, où l’accent est vraiment mis sur la Bête. La Belle, elle, se contente d’être… belle. Je voulais apporter au personnage de la profondeur, de la complexité, et voir comment elle évolue en tant que jeune femme face à ses doutes et ses peurs…
- Vous avez déjà abordé à plusieurs reprises dans vos films le thème de l’adolescence. En quoi vous intéresse-t-il tellement?
- Ce qui me fascine, c’est la vitalité de ces jeunes gens, leur dynamisme, la façon dont ils évoluent et comment se façonne leur maturité… Après tout, ce sont eux qui vont construire notre futur. Mais ce qui m’intéressait particulièrement dans ce film-là, c’était de montrer à quel point ils peuvent parfois cacher un formidable potentiel. L’héroïne de mon film est peu bavarde, se tient tranquille dans un coin de la classe et on a tendance à catégoriser ce genre d’ados comme le ou la timide de service, alors que mon personnage va devenir une star de la musique dans U, ce monde virtuel. C’est en ce sens que je pense qu’internet peut enrichir notre société, en permettant à des gens de s’épanouir complètement, de surmonter leurs craintes et leurs blocages. Et puis on y rejoint le thème de «La belle et la bête», l’idée que la Bête à deux facettes: son physique disgracieux d’un côté, sa bonté d’âme de l’autre. Ce qui, pour moi, faisait écho au monde d’internet, où notre moi des réseaux sociaux est parfois bien différent de celui de la réalité.
- Vous avez monté depuis quelques années votre propre studio d’animation. Les grands studios américains vous font-ils rêver?
- J’ai justement l’impression que les Disney, Pixar et Dreamworks manquent singulièrement d’innovation ces dernières années. «Spider-Man: New Generation» avait beau sortir un peu du lot, il y a 3 ans, avec cette image de synthèse traitée comme si chaque scène avait été travaillée à la main, en animation traditionnelle, le film me semblait très inspiré de l’animation japonaise, comme «Naruto» par exemple. Quand j’ai cofondé mon studio, Chizu, c’était dans l’idée de produire des films de manière indépendante, sans l’influence des investisseurs, afin de pouvoir porter à l’écran, de manière totalement libre, les sujets qui me tiennent à cœur, qui me semblent nécessaires dans notre monde. Faire véritablement de l’art…