BDCosey met un terme aux voyages de Jonathan
L’auteur vaudois sort le 17e et ultime tome des aventures de son héros, une sorte de double de lui-même, créé il y a 46 ans. Rencontre.
![Michel Pralong](https://media.lematin.ch/4/image/2024/01/11/ee8c66ba-d9f8-4545-a733-0ee9fe5534f2.png?auto=format%2Ccompress%2Cenhance&fit=crop&w=400&h=400&rect=0%2C19%2C1104%2C621&fp-x=0.5027173913043478&fp-y=0.41488020176544765&crop=focalpoint&s=4a5cf81557e60798f8117d477cb937c7)
La bande-annonce du dernier Jonathan, «La piste de Yéshé».
Le Lombard/CoseyCosey avait fait ses premiers adieux à Jonathan il y a 8 ans, lors de la sortie de «Celle qui fut». À la fin, son héros se disait que le temps était peut-être venu, celui de rentrer à la maison. Mais il y avait des points d’interrogation. Ce n’est donc pas très surprenant de le voir revenir ce 29 octobre faire un dernier tour de piste, dans ce qui est cette fois, véritablement, son ultime album, nous assure Cosey.
«Je n’étais pas satisfait à 100% de la conclusion que j’avais donnée aux aventures de Jonathan. Alors, il y a deux ou trois ans, j’ai fait comme pour ma reprise de Mickey, j’ai relu ses premières aventures. Et là, dans le premier tome, «Souviens-toi Jonathan», il y avait cette lettre publiée dans le journal «Tintin» en 1975 et grâce à elle, j’ai trouvé la fin que je voulais».
Pas prévu pour une série
Dans cette lettre, Cosey racontait qu’il connaissait Jonathan et qu’il ne faisait que raconter ses aventures, à distance, concluant: «D’une certaine manière, je n’ai jamais quitté Jonathan». Et pourtant, le Vaudois, lorsqu’il crée son personnage il y a 46 ans n’imaginait pas que cela allait devenir une série. Il l’avait fait à son image, pour lui faire vivre des aventures qu’il aurait pu vivre lui-même. Une approche bien différente des BD de l’époque et qui plut immédiatement au public et à l’éditeur, Le Lombard. «Il m’a demandé un 2e tome, je ne l’avais pas prévu, mais j’étais ravi, cela voulait dire que j’étais dans la bonne direction». Du coup, les albums s’enchaînent au rythme d’un par année, jusqu’au tome 7, «Kate».
«Ensuite, j’ai eu envie de faire autre chose, alors j’ai proposé «À la recherche de Peter Pan». Mais l’éditeur n’était pas du tout convaincu. Il me disait qu’un «one shot», une histoire unique, cela se vendait moins bien qu’une série. Et qui, à part 300 Valaisans, allait acheter ce récit qui se déroulait en Valais? J’ai tout de même pu le faire et c’est, je crois encore à l’heure actuelle, mon album qui s’est le mieux vendu avec la couverture la plus célèbre».
Cosey a donc pu devenir l’un des rares auteurs à alterner entre une série à succès et des histoires complètes. Bref, à faire ce qu’il a envie de faire, luxe pas si courant dans le monde de la BD. Mais s’il revenait régulièrement à Jonathan, il savait qu’il ne prolongerait pas l’aventure indéfiniment. «En tant que lecteur de BD, je m’agace des séries qui n’en finissent pas, qui se prolongent alors qu’on a fait le tour du sujet». Restait donc à trouver la fin idéale pour Jonathan.
La mort, la vieillesse ou une autre fin?
«J’ai hésité entre plusieurs options. Le faire mourir, le montrer très vieux, voire même qu’il finisse sa vie dans un monastère tibétain, le crâne rasé. En relisant le premier tome, j’ai donc eu le déclic et une fois que j’ai su comment terminer, l’histoire s’est construit rapidement. Mais j’ai tenu quand même à intégrer d’une manière ou d’une autre les trois autres possibilités au récit». Laissons au lecteur la surprise (et on l’espère l’émotion) de découvrir la dernière case de cette «Piste de Yéshé», mais Cosey a bouclé la boucle et n’a plus besoin de son double imaginaire. Jonathan était le héros qui partait à l’aventure à sa place, mais rapidement, Cosey aussi a effectué ses propres voyages, nourrissant ses BD de ses expériences et se nourrissant de celles qu’il imaginait pour Jonathan.
Ce dernier tome est aussi l’occasion de retrouver quelques personnages qui ont marqué la série. Il est donc conseillé, même si une fois encore l’album pourrait se suffire à lui-même, de se replonger dans les tomes précédents, puisqu’on recroise Kate, on évoque Saïcha et, surtout, on revoit Drogma. C’est elle qui donne rendez-vous à Jonathan dans un monastère dans lequel il va passer de longs mois à l’attendre. Cosey a raconté cela après avoir lui-même séjourné dans un monastère au Ladakh. Et, en 2019, il est retourné dans le Tibet occupé. Voir à quel point l’identité du pays a été étouffée par la présence chinoise, est-ce que cela a contribué à passer l’envie du dessinateur de parler de cette région à travers Jonathan? «Non, ce n’est pas cela, mais je ne pourrais que me répéter en évoquant le Tibet dans ces conditions».
Si le récit de cet ultime tome s’est construit assez aisément, la couverture a été plus longue à trouver. «J’ai dû faire une quinzaine de projets, pour arriver à celui-ci, où l’on voit Jonathan dans le rétroviseur, (ce qui est aussi un effet miroir), avec le monastère en point de mire et la moto au premier plan». Jonathan se souvient d’ailleurs dans cet album de toutes les motos qu’il a pilotées durant ses périples.
![«Jonathan: la piste de Yéshé», Tome 17, ´par Cosey, Éd. Le Lombard, 56 pages «Jonathan: la piste de Yéshé», Tome 17, ´par Cosey, Éd. Le Lombard, 56 pages](https://media.lematin.ch/4/image/2023/11/10/7a834344-374e-4c0a-8af0-f7609da0bea1.jpeg?auto=format%2Ccompress%2Cenhance&fit=max&w=1200&h=1200&rect=0%2C0%2C1547%2C2048&fp-x=0.5003232062055591&fp-y=0.5&s=8523269d2a24431b9b8e2e9651893e43)
«Jonathan: la piste de Yéshé», Tome 17, ´par Cosey, Éd. Le Lombard, 56 pages
Dans l’album, on découvre pour la première fois que Jonathan tenait des carnets de voyage. «Comme il n’est pas dessinateur, j’ai essayé de faire des dessins d’amateur», s’amuse Cosey. Car lui-même a fondé son œuvre sur les dessins qu’il fait au cours de ses voyages ou randonnées. Et le 4 novembre sortira un magnifique album, «À l’heure où les dieux dorment», sorte de mise en valeur de ses carnets, qui nous raconte ses périples, ses références BD mais aussi son approche de la couleur, dont les fameux bleu et jaune qui sont la marque de Cosey. C’est un superbe écho à cet ultime Jonathan, puisque l’ouvrage se conclut ainsi: «Je me demande s’il existe un endroit où les personnages de fiction se rendent après que le mot fin a été écrit». Cosey donne la réponse dans «La piste de Yéshé».
![«À l’heure où les dieux dorment encore», par Cosey, Éd. Daniel Maghen, 304 pages, sortie le 4 novembre. Expo à Paris à la Galerie Maghen du 17 novembre au 11 décembre. «À l’heure où les dieux dorment encore», par Cosey, Éd. Daniel Maghen, 304 pages, sortie le 4 novembre. Expo à Paris à la Galerie Maghen du 17 novembre au 11 décembre.](https://media.lematin.ch/4/image/2023/11/10/6b89068f-9582-46cb-88c1-b22ed6475082.jpeg?auto=format%2Ccompress%2Cenhance&fit=max&w=1200&h=1200&rect=0%2C0%2C514%2C681&fp-x=0.5&fp-y=0.5007342143906021&s=44609123c2182ee34a79e43c251febf4)
«À l’heure où les dieux dorment encore», par Cosey, Éd. Daniel Maghen, 304 pages, sortie le 4 novembre. Expo à Paris à la Galerie Maghen du 17 novembre au 11 décembre.
Qu’y a-t-il après Jonathan?
Et Cosey, que va-t-il faire maintenant que le mot fin de Jonathan a été écrit? «Je ne sais pas encore, j’ai assez aimé cette expérience des carnets, peut-être faire quelque chose d’approchant. Ou retenter l’expérience d’un noir et blanc, ma tentative avec «Calypso» n’ayant pas été totalement abouti, Je ne suis arrivé à ce que je voulais que dans les derniers moments de cet album». Mais l’étendue de son talent est telle qu’il a le choix. Talent salué par la récompense suprême, le Grand Prix d’Angoulême en 2017. «Alors que certains me disaient que ce prix pouvait te mettre la pression, moi il m’a donné confiance. Parce que je doutais beaucoup (et je doute encore un peu, j’espère). Il m’a montré que je pouvais oser faire ce que j’ai envie de faire. On doit se faire plaisir». Ce qui, bien souvent, se traduit par un plaisir qui se communique au lecteur. Alors, on peut dire adieu à Jonathan, mais à très bientôt à Cosey,
Si vous voulez entendre l’auteur parler lui-même de sa BD, Le Lombard a publié cette interview sur YouTube.