Tour de FrancePlongée dans l’intimité des masseurs de la Grande Boucle
Kinésithérapeutes au sein des formations françaises AG2R Citroën et Cofidis, Julien Lachize et Frédéric Bourdon dévoilent les coulisses d’un indispensable métier de l’ombre.
- par
- Chris Geiger Saint-Gervais
«C'est toujours un bon moment. C'est surtout l'instant où tu décompresses de la journée.» Pour Anthony Perez, l'heure de massage et de soins constitue assurément le point d'orgue du quotidien. Elle s'impose aussi comme une juste récompense après les efforts consentis sur la selle.
Tantôt sous le soleil et la canicule, tantôt sous la pluie et le froid, les corps des coureurs sont mis à rude épreuve. Sommet de la souffrance, le Tour de France ne laisse aucun répit au peloton trois semaines durant (3400 kilomètres et 21 étapes au menu). Pour survivre à pareil programme, les cyclistes se remettent aux kinés et physios dès leur arrivée à l'hôtel. Avec l'espoir qu'un miracle se produise.
«C'est vrai que les coureurs viennent parfois vers nous en espérant qu’on les remette sur pied, témoigne Julien Lachize, responsable des kinés chez AG2R Citroën. La relation psychologique devient alors importante. Car s’ils viennent vers nous, c’est qu’il y a un problème. Et s’il y a un problème, c’est qu’il y a une perte de confiance dans leur outil de travail, c'est-à-dire leurs jambes. Dans ces cas là, notre rôle est de leur redonner confiance.»
Dans le cahier des charges du masseur prime, à première vue, la récupération physique du cycliste. Une grosse part du travail revient toutefois à gérer les états d'âme des athlètes. En d'autres termes, l'aspect mental constitue une part centrale du métier.
«Je me rappelle avoir dû m’occuper, il y a longtemps, d’un coureur qui avait honte, illustre le Français. Il était le leader de l’équipe et était passé au travers de sa course. Il y avait des enfants qui l’attendaient dehors pour recevoir des autographes, mais il n’osait pas sortir. Il disait qu’il ne le méritait pas, qu’il n’était pas à la hauteur.»
C’est dans ce type de situation que l’aspect psychologique entre pleinement en jeu. La formation suivie par les kinés prend, dès lors, tout son sens. «On suit des cours de psychologie et de sociologie dans notre cursus scolaire, souligne Frédéric Bourdon, kiné à la Cofidis. Dès l’instant où on travaille avec l’humain, il faut des compétences psychologiques pour que ça se passe bien.»
Sur la Grande Boucle, le Tricolore met ces mêmes aptitudes au service de Guillaume Martin et d'Anthony Perez, deux hommes avec qui il collabore depuis plusieurs années. Une donnée importante pour le second nommé.
«Mentalement, c’est vrai que ça me rassure, reconnaît le Toulousain de 32 ans. J’ai une grande confiance en lui. Il est capable de me dire comment j’ai récupéré et où je me situe. Comme ça fait un bon moment qu’on bosse ensemble, il connaît parfaitement mes jambes. J’aime bien avoir une stabilité. C’est aussi la raison pour laquelle ça fait huit ans que je suis dans cette équipe, et que je vais sur dix ans. J’aime être avec des gens que je connais, que j’apprécie.»
En ce sens, il est préférable pour le coureur et le kiné attitré d'entretenir une saine relation. Car les sessions sur le Tour de France sont quotidiennes et durent 60 minutes. Pour s'éviter toute mauvaise surprise, les duos se forment généralement lors des stages de présaison, au gré des affinités et des techniques de massage.
Secret professionnel
«Le but est qu'il existe un climat de confiance et que ça se passe bien, détaille Frédéric Bourdon. L'heure passe généralement très vite. La première demi-heure, lorsqu’on est en face-à-face, sert à discuter, même si ça dépend de la fatigue des coureurs. Puis lorsqu’ils se mettent sur le ventre, il n’y a généralement plus de discussion. Car, bien souvent, les coureurs se reposent. Lorsqu’ils se mettent à somnoler et que je dois les réveiller à la fin du massage, c’est que ça a été efficace.»
Masseur de Stan Dewulf sur cette édition 2023 de la Grande Boucle, Julien Lachize illustre la relation particulière tissée avec les coureurs grâce à ces instants privés. «Il y a une partie où on va vivre avec eux car c’est un peu le seul moment qu’ils ont à disposition pour communiquer avec leur famille et leurs enfants, dévoile-t-il. Du coup, on est un peu intégré dans la discussion. Mais on voit aussi assez rapidement lorsqu'ils ont besoin de calme ou d’échanger, de parler de la course ou de sortir de celle-ci.»
Cette souplesse d'esprit incite ordinairement les cyclistes à se confier à leurs kinés. Surtout que ces derniers, à la différence des assistants-masseurs, sont soumis au secret professionnel en France.
«Ce régime leur permet certainement de s’ouvrir un peu plus, poursuit Julien Lachize. Mais on a un engagement qu’on n’oublie pas lorsqu’on travaille pour une équipe. Concernant les blessures, il y a des choses qu’on va devoir communiquer au staff technique. Par contre, si le coureur se confie à nous, on ne peut pas se permettre de divulguer la conversation à d’autres personnes. Parfois, on est tiraillé entre le staff technique et le coureur. Lorsque ce dernier nous dit certaines choses, on essaie de l’orienter et de le conseiller au mieux. Sans jamais briser ce lien de confiance.»
Le kiné, également mobilisé à la préparation des bidons et à la distribution des musettes sur les différentes courses, possède la légitimité pour intervenir sur la stratégie sportive. Du moins, pour des cas de figure bien précis.
«Si les coureurs sont fatigués ou s’ils ont de petites douleurs, je suis là pour alerter les directeurs sportifs qu’il faut faire attention, reprend Frédéric Bourdon. Par exemple, je peux leur dire que ce n’est peut-être pas le bon jour pour aller en échappée ou pour travailler pour le leader.»
L'avis du kinésithérapeute peut également s'avérer précieux pour les préparateurs physiques pour tout ce qui concerne le travail musculaire de renforcement et de prévention en lien avec la position du coureur sur le vélo. Mais aussi pour les personnes en charge du bike-fitting, qui ont pour mission principale d’ajuster au mieux la machine afin d'améliorer son confort et sa performance.