FootballLa folle aventure de Yassin Fortuné, prêté par le FC Sion en Ukraine
Barré à Tourbillon, l’ancien attaquant du FC Sion n’a pas hésité à s’enrôler au FC Polissya Zhytomyr, dans un pays en guerre. Il évoque les raisons de son choix et ses attentes au moment de la reprise du championnat.
- par
- Nicolas Jacquier
Parce qu’il ne figurait pas dans les bons papiers de son coach, Yassin Fortuné a choisi de s’exiler en Ukraine pour relancer une carrière à l’arrêt. Un choix curieux - et surtout dangereux compte tenu de la guerre qui ravage une partie du pays depuis deux ans - qu’il justifie par sa volonté de rattraper le temps perdu. A mi-janvier, l’attaquant franco-haïtien du FC Sion n’avait ainsi pas hésité à s’engager avec le FC Polissya Zhytomyr, actuel 3e du championnat (prêt avec option d’achat).
«Avant de signer, nous confie-t-il, j’ai quand même un peu hésité. Je voulais certes rejouer mais ici, il y a quand même la guerre. Des gens avec lesquels j’ai pu parler et qui étaient sur place m’ont alors rassuré. Et je me suis lancé…»
17 nuits de bombardements
Zhytomyr, c’est une cité de 265000 habitants, à 140 km à l’ouest de Kiev, posée au bord de la rivière Teteriv. Au début du conflit, la ville a payé un lourd tribu à l’invasion russe, subissant notamment en avril 2022 17 nuits de bombardements consécutifs, avec près de 200 morts. A l’époque, les combats s’étaient arrêtés aux portes de Zhytomyr.
«Je m’attendais à voir certaines choses que je n’ai heureusement pas vues, hormis quelques bâtiments démolis. Les gens ont même l’air de vivre assez normalement. La guerre paraît loin. Jusqu’à présent, je n’ai connu qu’une seule alerte nous intimant l’ordre de se mettre à l’abri. J’ai sur mon téléphone une application spéciale qui résonne en cas d’alerte.»
Après avoir laissé femme et enfants (deux filles de 3 ans et demi et 12 mois) en sécurité en Valais, Yassin avait d’abord rejoint ses nouveaux coéquipiers en Espagne pour un stage de préparation de trois semaines à Alicante avant de regagner son nouveau point de chute en passant par la Pologne. «Mon intégration s’est super bien passée. J’y suis allé crescendo. Pour le coach (ndlr: Yuriy Kalitvintsev), qui compte sur moi, je dois devenir un joueur important. Il sait que je peux apporter beaucoup à l’équipe. Je suis arrivé dans un club ambitieux, qui vise l’Europe.»
Traducteur privé
Le joueur s’entraîne, mange, loge et vit à un quart d’heure du centre-ville, au sein même du complexe d’entraînement de son nouveau club - «les infrastructures y sont incroyables». Si le contingent du FC Polissya est essentiellement composé d’Ukrainiens (ils sont dix-neuf), on y trouve aussi quelques Africains et plusieurs Brésiliens. «Plusieurs joueurs parlent anglais et j’ai la chance de pouvoir disposer des services d’un traducteur privé. C’est lui qui me traduit les directives de l’entraîneur.»
Si Fortuné a dû se résoudre à quitter Tourbillon, c’est principalement parce qu’il n’a jamais vraiment réussi à s’y imposer durablement. Depuis son arrivée en juillet 2018, il n’avait disputé que 62 matches (3 buts) sous le maillot valaisan, entrecoupés d’un premier prêt à Angers en février 2021. «Tout le monde connaît Sion, soupire-t-il. Au départ, cela a été compliqué. J’ai aussi fait des erreurs. Mais la naissance de mes enfants m’a fait grandir en tant qu’homme.»
Incompréhension
L’intéressé a aussi souffert des conséquences d’une grave blessure au tendon rotulien, blessure récoltée alors qu’il avait fait l’objet d’un prêt à Cholet cette fois-ci et qui devait le tenir éloigné des pelouses durant 14 mois. Sorti du placard par David Bettoni, éphémère entraîneur du FC Sion au printemps dernier, l’ancien international français M20 n’allait jamais vraiment trouver grâce aux yeux de Didier Tholot. «Alors que j’étais bien revenu, je ne comprends pas trop pourquoi je n’ai jamais vraiment reçu une deuxième chance. Je pense que je l’aurais méritée. Mais l’entraîneur avait son équipe en tête et je n’en faisais pas partie.»
Une situation qu’il ne peut s’empêcher de déplorer avec le recul. «Je pensais franchement avoir plus de temps de jeu. Dans le vestiaire, ça parle beaucoup. Certains ne comprenaient pas pourquoi je ne jouais pas davantage (...) Une franche discussion a permis de débloquer la situation. Tant rester pour continuer à ne pas jouer n’aurait eu aucun sens.»
Avant de partir en Ukraine, Fortuné ne comptait cette saison que 14 apparitions, dont deux titularisations (contre Xamax et Aarau) sous la tunique valaisanne. Au moment de la reprise du championnat ce week-end malgré les bombes, le FC Polissya est attendu dimanche à Lviv pour y affronter Rukh. «Les équipes proches de la frontière russe ont toutes été délocalisées dans l’ouest du pays, du côté polonais…» Dans quelques semaines, l’attaquant croisera la route d’un autre ancien joueur du FC Sion, le défenseur Nathanaël Saintini, tout récemment parti en prêt au FC Kryvbas, l’actuel leader du championnat.
A 25 ans, Yassin Fortuné sait qu’il est arrivé à un carrefour de sa carrière, qu’il lui faut cette fois définitivement franchir un pallier afin de ne pas gaspiller un potentiel certes hors du commun mais demeuré trop souvent inexploité. Tant la trajectoire de l’espoir aux pieds d’or, qui avait su convaincre l’Arsenal d’Arsène Wenger de l’enrôler en lui offrant un contrat pro à l’âge de 17 ans, épouse plutôt celle d’un monumental gâchis jusque-là. «J’ai perdu trop de temps ces dernières années, reconnaît-il, lucide sur son parcours tourmenté. Mais à 25 ans, rien n’est terminé. Je suis venu jusqu’ici pour montrer ce dont je suis capable. Je dois me retrouver en devenant un joueur décisif, sur lequel on peut compter.»
Raison pour laquelle Yassin, après Sion, est parti chercher Fortuné en Ukraine.